Rencontre à Hollywood avec Jack Black, comique explosif et héros fantasque
du nouveau film de Michel Gondry. Souvenirs de tournage, autocritique injuste et déclaration d’amour pour la Californie.
Le rendez-vous a lieu dans le cœur d’Hollywood, à deux pas de la mythique tour Capitol Records, dans un studio d’enregistrement tapissé de velours rouge clinquant. Aux murs, les disques de platine de Justin Timberlake et de Britney Spears, encadrés côte à côte, témoignent d’une époque révolue. Le dimanche soir accentue un peu plus l’atmosphère blafarde de mélancolie. C’est à ce moment précis qu’apparaît Jack Black pour rectifier l’ambiance. Il est parfait : en retard, bayant aux corneilles, dépenaillé.
Sur les photos et dans certains films, on lui trouvait de faux airs d’Orson Welles entre deux âges, plus tout à fait beau, mais pas encore énorme. De près, c’est plutôt sa qualité d’improbable sosie d’un célèbre cinéaste français qui marque au premier coup d’œil : bedaine en évidence, chemise fleurie, barbe de trois jours, cheveux décolorés blonds en pétard avec racines apparentes… l’acteur US le plus cool du moment ressemble comme deux gouttes d’eau à Luc Besson ! En beaucoup plus drôle.
Jack Black a une envie folle de dormir parce qu’il a débarqué la veille du fin fond de la Louisiane, où il tourne actuellement sous la direction d’Harold Ramis, cinéaste rescapé de ses aventures conceptuelles 90’s – le magnifique Un jour sans fin. “Le film s’appelle Year One, c’est une comédie située au temps de la Bible.” On n’en saura pas beaucoup plus sur ce projet intrigant. Jack Black préfère “parler des films quand ils sont terminés”, une habitude plutôt rare à Hollywood. Mais il évoque sans se faire prier sa rencontre sur le plateau avec le jeune acteur Michael Cera (Supergrave, Juno), qu’il trouve des plus inspirant. “C’est un petit mec génial, je discute beaucoup de musique avec lui. Il m’a fait découvrir l’album solo d’Alden Penner, le chanteur d’un groupe canadien, The Unicorns, que je n’arrête pas d’écouter depuis. On a l’impression que le type a enregistré ses chansons dans sa cave avec un magnéto pourri, mais mélodiquement, c’est magnifique. Cela me ramène aux années 90, quand j’avais à peine plus de 20 ans et que j’écoutais en boucle de la low-fi. Sebadoh et Pavement étaient mes groupes préférés. Ma vie était excitante.”
On pensait rencontrer l’acteur, voilà le fan de musique qui s’agite. C’est logique : les deux ne font qu’un. Black connaît depuis 1994 un certain succès avec son groupe de rock indie satirique, spécial fumeurs de joints, Tenacious D, auteur de deux albums Tenacious D en 2001 et The Pick of Destiny en 2006, et avec lequel il se produira de nouveau l’été prochain pour quelques concerts en Angleterre. Et, surtout, la musique le poursuit sans relâche au cinéma, comme une seconde peau.
Il était parfait en vendeur de disques érudit chez Stephen Frears (High Fidelity, 2000), étonnamment émouvant en compositeur de musique de film dans une comédie romantique avec Kate Winslet, Cameron Diaz et Jude Law (The Holiday, 2006). Il a marqué les esprits avec son rôle de gourou rock’n’roll entouré de gamins dans le survolté Rock Academy de Richard Linklater (2003), le film qui a fait grimper sa cote en flèche. “C’est vrai, j’ai été dans de nombreux projets avec un thème musical, parce que j’aime les rôles qui sont proches de moi. Quand j’interprète un personnage, j’ai besoin d’être d’accord avec ce qu’il dit, ce qu’il fait, la manière dont il bouge. Sinon, je me pose beaucoup de questions. Les films qui parlent de musique me vont donc comme un gant, car ma vie tourne beaucoup autour de ce milieu. Ma femme joue du violoncelle dans un groupe de rock du quartier slacker de Los Angeles, Silverlake, qui s’appelle The Silversun Pickups. Elle est aussi la sœur de Josh Hayden, le chanteur de Spain…”
Par chance, Jack Black n’a pas l’esprit obtus. Il trouve des rôles à son goût dans une multitude de projets différents, pour peu que ceux-ci ouvrent sur un imaginaire hors du commun. Une pente naturelle qui l’a mené vers le nouveau film de Michel Gondry, Soyez sympas, rembobinez. Black y promène son quintal dans un vidéoclub, dont toutes les cassettes ont été effacées par sa faute. Pour contenter les clients frustrés, il s’emploie à rejouer un par un les films perdus, de Ghostbusters à Robocop, avec son meilleur pote (Mos Def) et un vieux Caméscope. De remake en remake, furieux et subtil à la fois, au bord du ridicule sans jamais y sombrer (il se promène la moitié du film en état de “surcharge électrique”…), Black donne à son personnage de simplet une épaisseur comique et une vitalité étonnantes.
Son arrivée dans le monde du cinéaste français bricoleur de génie paraît complètement naturelle. Elle était d’ailleurs programmée depuis longtemps. “Je connaissais le travail de Michel à travers ses clips et ses films, dont j’étais assez fou. Il avait vu Rock Academy et m’avait appelé pour dire qu’il voulait travailler avec
moi. Je l’ai rencontré à ce moment-là, dans des circonstances étranges pour le commun des mortels, mais très communes dans l’industrie du cinéma américain…” Comme pour vérifier notre degré d’attention, Black lève alors ses sourcils démesurés. “Ça va, le décalage horaire ? Bon, alors, je raconte. En fait, Gondry et moi nous sommes connus lors d’un “general meeting”. Ce genre de choses arrive à Hollywood : il y a des réunions de personnalités. En présence d’agents et de membres des studios, vous bavardez autour d’une table avec d’autres artistes. On vérifie si vos caractères s’accordent, et si, éventuellement, cela pourrait déboucher sur une explosion de créativité… C’est un peu comme une séance de speed-dating, mais sans les sentiments…”
Difficile de retranscrire le swing et l’ironie de Jack Black quand il raconte malicieusement ses aventures dans les arcanes de l’industrie. Au fil de la conversation, il apparaît comme une sorte de panda infiltré à Hollywood, tranquille mais pas dupe, et sûr de ses désirs. “Même sans cette réunion, il était clair que Gondry et moi devions faire quelque chose ensemble. On a évoqué un projet de science-fiction, un sujet qui le passionne, comme moi. C’est notre côté nerd… Et finalement, un jour, il est arrivé avec une sorte de bande dessinée qui allait peu à peu devenir Soyez sympas, rembobinez.”
L’étape suivante a consisté à accorder leurs violons : Black est un acteur qui “déteste faire la marionnette”, et Gondry un cinéaste fourmillant. “Michel a une idée à la minute, moi je dirais que j’en ai… une toutes les dix minutes en moyenne. En d’autres termes, il a dix idées quand moi j’en ai une seule… Mais ça me va. Je recherche des mecs de ce genre, des créateurs purs avec qui je peux rigoler un peu. Il y avait sans cesse des changements, des plans qui n’étaient pas prévus. Comme quand il a eu envie de me filmer à un kilomètre de distance, au téléobjectif… Je ne pouvais pas entendre ce qu’il me disait, de si loin. Du coup, un assistant était caché dans les buissons pour me souffler les instructions. Parfois on avait l’impression de concourir pour rentrer dans le Livre Guinness des records avec le film le plus compliqué de l’histoire !”
Terminant son monologue enflammé sur sa collaboration avec l’ex-petit prince du clip devenu star du cinéma indé, Jack Black insiste sur un aspect crucial à ses yeux : l’improvisation. Ce n’est pas de sa part un de ces discours convenus sur la recherche de la liberté artistique dans le milieu hostile d’Hollywood, mais une exigence qui vient de loin, de ses années de préadolescence, quand Jack Black passait ses étés dans des colonies de vacances néohippies, envoyé là par des parents libéraux. “Ce n’était pas des camps d’été horribles où personne ne vous parle. On s’y amusait beaucoup. Les animateurs organisaient des petits jeux théâtraux autour de thèmes improvisés. Plus tard, quand j’ai pris des cours d’art dramatique, j’ai cherché à retrouver ces ambiances. Même aujourd’hui, je me souviens que je suis un acteur de colonies de vacances, et que mon premier rôle a été une version bizarre du Magicien d’Oz… Mes racines sont avant tout dans le théâtre improvisé, je les cultive autant que je peux, en restant au contact de ce qui se fait chez les comiques stand-up, par exemple. Sur scène, avec Tenacious D, on fait aussi des petits sketches.”
Cette base plutôt roots a fait de Jack Black un acteur tout-terrain. Un type au physique de charcutier plus que de star de cinéma, mais qui traverse les genres sans détonner. Une sorte d’exploit. Il apparaît aussi crédible en boyfriend de Kate Winslet dans The Holiday qu’en amoureux de Gwyneth Paltrow dans L’Amour extra-large, des frères Farrelly. Et son rôle de cinéaste loufoque mais habité, dans le King Kong de Peter Jackson, a révélé un aspect plus inquiétant de sa personnalité. “Je sais que je ne suis pas l’acteur le plus réaliste de la Terre, je joue beaucoup sur l’outrance, parce que j’ai toujours eu une approche comique et décalée de mon métier. Néanmoins, j’essaie de modérer mes tendances naturelles.”
Le comédien paraît soudainement un peu dur avec lui-même. Certes, il s’est fait connaître en interprétant des personnages extravertis, et continue à briller dans des comédies – il tient le rôle principal de la prochaine réalisation de Ben Stiller, Tropic Thunder, et reste un ami proche des piliers de la nouvelle comédie hollywoodienne, comme Owen Wilson et Judd Apatow. Mais alors qu’il semblait le candidat idéal pour être abonné au même genre de rôle à vie, il a trouvé une voie singulière dans son jeu, qui lui permet de ne rester collé à aucun registre en particulier. Une sympathie immédiate émane de lui à l’écran, mais jamais une sympathie mièvre. Peut-être est-ce à cause de ses fameux sourcils extravagants, qui lui donnent, quoi qu’il fasse, un air de diablotin. Une sorte de deuxième personnalité, derrière son apparence joviale, est capable de surgir jusqu’au plus improbable blockbuster.
Pas besoin alors pour Jack Black de se poser en héraut de l’alternatif implanté en douce dans le système, même si tout dans son attitude le suggère finement. Dans sa bouche, Hollywood n’est jamais un gros mot. La ville-cinéma est pour lui un terrain de jeu. Né à Hermosa Beach, à quelques kilomètres au sud de Los Angeles, Black se définit lui-même comme un pur “West-Coast guy”. Sauf pour le surf, pourtant une activité quotidienne au bord du Pacifique… “J’ai essayé, mais je n’aimais pas l’idée de me réveiller à cinq heures du matin, tout ça pour qu’un mec supertatoué et supermusclé me demande de dégager de sa vague… En fait, c’est le rythme de vie de la Californie du Sud qui me plaît. La vie ici est plus lente que dans le reste du pays. Et puis, j’ai toujours adoré l’idée de vivre près de la capitale mondiale de l’entertainment. C’est Disneyland à tous les coins de rue ! Je me sens toujours comme un gosse, de ce point de vue… Comment peut-on avoir envie d’habiter ailleurs qu’à Hollywood ? (rires)”
Tout à coup, on comprend mieux l’amour de Jack Black pour les chemises à fleurs, et sa nonchalance teintée d’humour cinglant. Comme s’il craignait qu’on ne garde de lui que cette image de glandeur magnifique, il poursuit sa déclaration d’amour pour L.A. en déviant du schéma initial. “Il y a bien sûr le grand fromage des multinationales qui contrôlent l’industrie. Mais Hollywood, ce n’est pas seulement ce qui se déverse à longueur d’année sur les écrans du monde. C’est une géographie complexe. Los Angeles regorge d’une culture alternative et bohémienne. Il y a beaucoup de poètes et de peintres. Tout est là, à portée de main en même temps, tout se mélange, c’est ce que j’aime.”
Jack Black étouffe un dernier bâillement et déclare qu’il a faim avec une passion qui ne laisse aucune ambiguïté sur ses intentions à court terme. Avant de le laisser partir, on évoque avec lui la liste des cinéastes qui lui ont laissé un souvenir mémorable, dans sa filmo sautillante. Il cite Richard Linklater et Michel Gondry, “une avant-garde à lui tout seul”, mais pas les frères Farrelly. L’Amour extra-large (2001) ne l’a pas emballé : “Il y avait beaucoup de moments dans le film qui sonnaient faux à mes yeux, des trucs que je ne ferais jamais, et ça m’a dérangé.” Devant notre réaction courroucée, il modère : “Je n’ai pas revu le film, j’ai peut-être eu la critique un peu facile.” Le voilà pardonné. En effet, après une heure passée avec lui, on pardonne tout à Jack Black, y compris de ne pas avoir toujours bon goût. A bien y réfléchir, on lui en serait même reconnaissant. C’est aussi une des formes de son talent.
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