L’acteur des « Dents de la mer » et de « French Connection » est mort samedi dernier. Retour sur la carrière de l’un des très beaux visages du Nouvel Hollywood.
« You’re gonna need a bigger boat ». Après cette phrase, la plus célèbre des Les Dents de la mer (1975), l’océan, la plage et les vacances ne seraient plus jamais les mêmes. Par cette réplique culte, le chef Brody (rôle qui allait coller à la peau de Roy Scheider) défiait Robert Shaw et Richard Dreyfuss, les deux orgueilleux chasseurs de requins, bien décidés à accrocher la tête du squale imaginé par Steven Spielberg au dessus de leur cheminée. La suite du film montrera que Brody avait eu raison de se méfier…
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L’acteur, mort d’un cancer samedi 9 février à 75 ans, est déjà âgé de 43 ans lorsqu’il décroche ce rôle qui va le propulser pour quelques années sur le devant de la scène. Formé au théâtre, il ne s’essaie au cinéma qu’à la fin des années 60, jouant quelques rôles oubliables (et oubliés) avant de se faire remarquer en 1972, dans French Connection de William Friedkin. Et as seulement par le public : interprète du détective Buddy Russo, partenaire cool du fougueux Jimmy « Popeye » Doyles (Gene Hackman), il est nommé aux Oscars pour le meilleur second rôle. Première reconnaissance publique et critique. La seconde intervient huit ans plus tard, en 1980, cette fois-ci pour un premier rôle : Joe Gideon dans la comédie musicale autobiographique All That Jazz de Bob Fosse (également Palme d’or). Scheider y excelle en metteur en scène flippé et sous amphet’, essayant vainement de boucler les différents projets qu’il a mis simultanément en branle. Mais, à nouveau, il se fait siffler l’Oscar – ce sera le plus identifiable, plus lisse, plus actor’s studio, bref plus consensuel, Dustin Hoffman qui l’emportera pour Kramer contre Kramer.
Ce rôle d’artiste génial explosant en plein vol (dans une gerbe de paillettes et de sunlights annonçant les clinquantes eighties) aurait du le mettre sur les rails d’une grande carrière. Ironie du sort, ce sera son dernier rôle important dans un film majeur. Comme si lui aussi avait été incapable de survivre à la folie furieuse des seventies, à son inouïe schizophrénie créatrice. « Bye Bye Life », chante-il à la fin d’All That Jazz, lui qui incarna tout au long de la décennie une certaine idée (la meilleure ?) de l’acteur américain : désabusé, double (tour à tour flic et mac), inquiet, tout de colère rentrée et d’élégance blessée. Traversant les années 70 avec classe (des rôles chez Pakula, Shatzberg, Schlesinger, Demme, Spielberg et surtout Friedkin avec Le Convoi de la peur, chef d’œuvre maudit de 1978), il s’abîme dans de mauvaises productions musclées lors de la décennie suivante (Tonnerre de feu de John Badham, Paiement cash de John Frankenheimer), décidemment sans pitié pour les rêveurs et les indécis. Dans les années 90, seuls Cronenberg (Le festin nu en 1992) et Coppola (L’idéaliste en 1998) lui confient des seconds rôles intéressants, alors qu’il réapparaît, modestement, dans la série télé Seaquest, police des mers. Il y incarne Nathan Bridger, commandant intègre d’un sous-marin futuriste, cherchant à faire régner l’ordre et la paix dans les profondeurs océaniques. Il aura donc fini par l’avoir, son gros bateau.
Jacky Goldberg
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