Il n’aime pas qu’on le qualifie de “touche-à-tout”. Pourtant, la liste des réalisations de José Lévy englobe un nombre infini de supports de création : du vêtement à l’objet, du parfum à l’architecture, de la scénographie à la direction artistique, la carrière du designer, nommé Chevalier des Arts et des Lettres en 2011, est faite de […]
Il n’aime pas qu’on le qualifie de « touche-à-tout ». Pourtant, la liste des réalisations de José Lévy englobe un nombre infini de supports de création : du vêtement à l’objet, du parfum à l’architecture, de la scénographie à la direction artistique, la carrière du designer, nommé Chevalier des Arts et des Lettres en 2011, est faite de rencontres avec les plus grands noms de la création. A l’occasion de sa collaboration avec Monoprix, plongée dans les cinq vies de José Lévy.
La mode : « Il n’y a pas de prés carrés »
« La mode est la matrice de tout ce que je peux faire aujourd’hui », affirme José Lévy autour d’un café à deux pas de la Comédie Française. Avant d’officier en tant que directeur de la création de la marque Emmanuel Ungaro (2004-2007), José Lévy monte sa propre maison de prêt-à-porter, José Lévy à Paris, pour lequel il crée des collections pendant 14 ans. Il consulte également pour Nina Ricci et Holland&Holland, en plus de collaborer avec des enseignes plus mass-market telles que La Redoute ou André. Une pluralité de supports de création qui l’a poussé à élargir son domaine d’exercice : « Les gens de la mode sont toujours très curieux de repérer quelque chose qui va les influencer, les surprendre, les nourrir… contrairement à d’autres secteurs, il n’y a pas de prés carrés, » explique José Lévy. « Quand on regarder la mode, il faut aussi voir tout ce qui l’entoure : les défilés, les scénographies, mais aussi les collaborations avec des artistes, le mobilier… J’ai eu envie d’approfondir des choses que je n’avais jusqu’ici qu’effleurées. »
La Manufacture de Sèvres : « C’est important que la personne puisse s’approprier mes créations »
Parmi les domaines qui le séduisent, les arts décoratifs : la relation avec la Manufacture de Sèvres se noue lors d’une collaboration en 2009, pour laquelle elle commande 18 pièces au designer… qui en réalise 36, en rupture de stock dès le soir du vernissage. Travail de réflexion sur l’histoire de la manufacture, le projet Mousse de Sèvres imagine des objets « qu’on aurait oubliés dans un jardin et sur lesquels une mousse se serait déposée naturellement. » Une série de pièces uniques qui a donné lieu à une édition d’objets au sein de la gamme Sèvres, appelées « feuilles à tout »: « Chaque pièce peut être interprétée de manière personnelle, raconte le designer, pour être à la fois au service de ce que j’ai envie de raconter à l’autre, mais aussi que l’autre puisse ne pas être écrasé par cette histoire. » Conçue en porcelaine noire émaillée de blanc, matière signature de Sèvres, les « feuilles à tout » deviennent assiettes, plateaux, vides-poche, sculptures… « J’aime l’idée que ça ne puisse pas avoir une seule fonction, reprend José Lévy, que l’on peut le regarder différemment. C’est important que la personne se l’approprie. »
Le travail en galerie d’art : « Je n’ai pas peur de l’inconscient collectif »
« La nature est toujours présente dans mon travail, » explique José Lévy, qui s’évade régulièrement du cinquième arrondissement vers une maison de campagne en Seine-et-Marne. C’est le jardin du Luxembourg que le designer explore avec son exposition Oasis : Luconoctambules à la galerie Perrotin en 2009 : « J’ai imaginé une sorte de formule magique que l’on aurait jeté sur un endroit du jardin du Luxembourg, raconte t-il. Tout existe déjà dans nos souvenirs – les arbres, le mobilier de jardin, les tables d’échecs, les souris – comme des archétypes. Je n’ai pas peur des départs dans l’inconscient collectif, au contraire – ce sont des choses avec lesquelles on peut jouer. » Sous la baguette de José Lévy, les arbres se déploient, devenant des luminaires, et les souris incarnent les pions d’un étonnant jeu d’échecs. Pour la galerie Bensimon, c’est un jeu de table hybride que conçoit le designer, tour à tour jeu de construction, sculpture, ou mobilier minimaliste. « Il y a plein d’entrées différentes, c’est presque un jeu, » sourit le designer.
La Villa Kujoyama : « Un truc de fou »
Si les années suivantes voient José Lévy collaborer avec d’autres grands noms des arts décoratifs – dont Astier de Villatte et le cristallier Saint-Louis – 2010 marque un tournant majeur dans la carrière du designer : il est invité, aux côtés de six autres artistes, à prendre résidence à la Villa Kuyojama, berceau créatif niché dans les hauteurs de Kyoto. « C’est en haut d’une montagne, au milieu d’une jungle incroyable, et pourtant vous êtes à sept minutes du métro, se souvient José Lévy. On entendait le bruit des cigales… C’était vraiment une expérience étonnante. » Au terme des cinq mois de résidence naît le projet Judogi, inspiré de son grand père, patron d’une entreprise d’arts martiaux et collectionneur de pièces d’art japonais : « J’ai toujours été habitué à voir le Japon à travers un canal extrêmement personnel et intime, et mon idée était de me souvenir de ces objets et les métamorphoser. » En témoigne sa réinterprétation des traditionnels masques No en fibre de verre, hauts d’1m50, recouverts de tatamis désossé.
Parmi les objets qui marquent la jeunesse de José Lévy, il y a aussi cet énorme armure de samouraï, source de fascination enfantine, que le designer réinterprète pour la réouverture de la Villa Kuyojama début octobre. Fraîchement rentré, José Lévy semble encore imprégné de l’expérience : « J’ai plongé la villa dans le noir complet, et j’ai fait 500 bougies avec Diptyque, dégageant des odeurs très fortes, que j’ai disposées suivant un chemin sur 3 étages. Et arrivé en haut, clac! On découvre un immense samourai fabriqué en lampes de papier selon la technique traditionnelle du Nebuta. C’était franchement un truc de fou. » La création de sept mètres de haut a pris deux mois de réalisation, en partenariat avec l’Université des Arts traditionnels du Japon. « Je l’ai appelé le Veilleur. C’est un géant de papier, doté d’un aspect presque fantomatique, qui regarde la ville avec bienveillance. » Un colosse aux pieds fragiles qui deviendrait à terme le symbole de la Villa Kujoyama, même si le designer ignore tout de son état actuel : « Il est posé en extérieur, et il y a eu des tempêtes, des typhons… Je ne veux même pas savoir. C’est justement cette fragilité que je trouvais intéressante. »
José Lévy x Monoprix : « Tout ce que je crée doit être connecté aux gens »
De retour en France, José Lévy signe une collaboration avec Monoprix, gamme festive inspirée des feux d’artifices du Nouvel An islandais. C’est en réalité la deuxième fois que José Lévy travaille avec l’enseigne mass-market : « A l’époque [dans les années 90], ce n’était pas du tout à la mode. Maintenant, c’est devenu très chic, presque un snobisme inversé. »
Le designer se voit comme un ensemblier, s’intéressant pour Monoprix aux arts de la table, à la décoration, aux vêtements et même à la nourriture. « Ce qui m’intéresse, c’est les gens, assène t-il. Et autour des gens, vous avez plusieurs couches : le corps, sa façon de vivre, de se mouvoir, de réfléchir… C’est comme si j’étais un fournisseur : je peux créer le vêtement, le stylo que vous avez à la main, cette boisson que vous allez boire, le packaging du sucre, la table autour de laquelle nous sommes, le lieu… Tout doit être connecté aux gens, sinon il n’y a pas d’intérêt. » Le créateur assure passer autant de temps sur la finition d’un carnet Monoprix à quatre euros que sur un lustre Saint-Louis à dix mille : « Il y a un rôle politique de faire de belles choses. Souvent, cela revient au même niveau prix de faire de belles choses que faire des choses très moches. Ce qui est important pour moi, c’est l’éducation : faire passer des messages, un regard, un goût, à toutes sortes de personnes. »
La suite ?
Si la collection avec Monoprix marque le grand retour de José Lévy au prêt-à-porter, le designer n’avait pas pour autant quitté le monde du vêtement : José Lévy collabore pour la deuxième fois avec le metteur en scène Arthur Nauzyciel, pour qui il dessine les costumes de sa prochaine pièce, une adaptation de Splendid’s de Jean Genet pour janvier 2014. « Quand on fait des costumes de théâtre, ce ne sont pas que des vêtements : on redessine complètement l’allure du corps, » explique le créateur. Janvier marque aussi l’ouverture de son espace à la Jeune Rue, lieu de création inédit dans le Nord de Paris. « Ce sera comme une galerie, un lieu atypique. Il n’y aura que des choses dessinées pour cet endroit particulier, de la mode au design en passant par la nourriture, mais aussi ce qui relève des interventions d’artistes, de sociologues… J’ai envie que ce soit un lieu vivant, d’échange et de partage. »
Au terme de plus de deux heures d’entretien, la carrière du designer de 51 ans donne le tournis. Une pluralité de supports de création, de domaines artistiques, de pays et de personnalités s’y croisent et s’y fondent. José Lévy reste avant tout un homme en quête, « une quête permanente, inlassable, infinie ». Parmi toutes ces réalisations, reste t-il à José Lévy une création rêvée ? « Plein – heureusement ! J’adorerais dessiner un téléphone, mon rêve absolu. C’est un objet qui nous sert en permanence, le challenge est énorme – il n’y a rien de plus intime qu’un téléphone. » A suivre.