Joyeusement féroce et semant le trouble entre réel et fiction, la compagnie australienne Back to Back Theatre débarque en France pour la première fois.
Cinq acteurs, une tête d’éléphant, une table et une multitude de rideaux plastifiés où sont projetées ombres et images : le dispositif scénique de Ganesh Versus Third Reich est aussi simple et bricolé que possible pour laisser place à l’entrecroisement de deux fables qui viennent titiller le réel en jetant définitivement aux orties le politiquement correct. La première fable consiste à imaginer un retour dans l’Histoire, au cœur de la Seconde Guerre mondiale, où le dieu hindou Ganesh vient récupérer le svastiska, symbole du bien dans le panthéon indien et confisqué par Hitler pour en faire celui du nazisme. Un voyage à haut risque qui lui fait traverser paysages, trains de déportation et camps d’extermination, croisant le docteur Mengele, un Juif et Hitler, raconté par la voix de Vishnou, son chroniqueur.
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La deuxième fable nous révèle les dessous mouvementés de la création du spectacle et le conflit grandissant entre le metteur en scène, légèrement tyrannique, et trois des acteurs, handicapés et réfractaires aux rôles qu’il veut leur faire endosser. « Si tu déconnes avec l’Holocauste, tu encourages les négationnistes », dit l’un d’eux à propos de l’odyssée imaginaire de Ganesh. « Ta pièce est pourrie et tu manipules le groupe », lui reproche un autre. À un rythme qui ne faiblit jamais, le spectacle alterne les scènes de Ganesh et celles de ses répétitions houleuses pour finir par intégrer le public et ses motivations ou préjugés sur la présence d’acteurs handicapés sur un plateau : « Vous êtes venus voir un spectacle de monstres. Vous êtes des pervers. » Ou, plus près de la vérité du spectacle auquel on assiste : « Notre mélange de réalité et de fiction gêne le public. »
Et c’est bien là que cette compagnie australienne fait mouche, refusant d’occulter la réalité tout en dégainant contre elle les armes de l’imaginaire, de la puissance du jeu et du pouvoir de l’illusion dont le théâtre dans le théâtre fournit l’ingrédient majeur. Jusqu’au trouble et au malaise provoqués par la scène finale entre le metteur en scène essayant de faire admettre la pertinence de leur projet à un acteur jouant son refus, son incapacité et son handicap pour finir par obtenir ce qu’il veut : la capitulation du projet et la fuite du metteur en scène. Un constat d’échec en guise de scène finale qui fait écho aux paroles d’Hitler à Ganesh qui vient de lui reprendre le svatiska : « Tu peux bien me le reprendre, de toute façon, c’est à moi, toujours, qu’il restera associé. » C’est gonflé et culotté, bourré d’humour et de lucidité propre à tordre le cou aux poncifs bien-pensants : plus fort que le symbole, le réel qui le tord à sa guise. Et la morale de la fable, c’est que le réel n’en a cure.
Fabienne Arvers
Ganesh Versus Third Reich, création de Back to Back Theatre, direction artistique Bruce Gladwin. Compte-rendu du Maillon de Strasbourg, les 4 et 5 avril. Du 10 au 13 avril à la Grande Halle de la Villette. www.villette.com
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