Adaptée d’une websérie à succès, la nouvelle comédie HBO déconstruit les clichés avec finesse et sensibilité.
“Où est la Liz Lemon noire ?”, se demandait une journaliste américaine en 2010, en référence au personnage inventé par l’actrice comique Tina Fey dans sa série déjantée 30 Rock (2006-2013). Issa Rae a alors 25 ans, travaille à plein temps dans un théâtre, et se pose la même question.
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Elle décide de lancer sa propre websérie, Awkward Black Girl, pour montrer que l’on peut être “noire et bizarre” et que le rôle de la fille brillante mais nerdy n’est pas réservé qu’aux actrices blanches. Aujourd’hui, les épisodes réalisent entre 500 000 et 2 millions de vues chacun. De quoi pousser la chaîne câblée HBO à lui proposer d’adapter son projet en série. Et le résultat est énorme.
Des piques envoyées aux Blancs
Avec Insecure, Issa Rae fait renaître son awkward black girl en version plus longue, mieux construite et avec des personnages plus fouillés. Issa et Molly, sa meilleure amie, sont deux jeunes femmes noires qui ne peuvent pas “échapper au fait qu’elles sont noires”.
L’une travaille dans une association d’aide aux jeunes de quartiers défavorisés qui s’amusent à lui demander pourquoi elle “parle comme une fille blanche”, l’autre est une avocate dans un cabinet renommé qui cherche l’âme sœur sur des sites de rencontre pour les “élites” afro-américaines.
Pédago tout en étant ultraréférencée, Insecure envoie des piques irrésistibles aux Blancs, surtout ceux qui aiment toucher les cheveux de son héroïne ou qui proposent d’emmener des élèves noirs dans un “musée afro-américain” pour qu’ils “comprennent que les autres générations étaient plus reconnaissantes qu’eux”. Issa finira par conduire les écoliers à la plage, où a lieu un des meilleurs échanges de la série : “Pourquoi ne sont-ils pas plus nombreux à aller nager ?”, lui demande un collègue blanc. “L’esclavage”, répond-elle sobrement.
Soliloques et rap
Loin des saynètes épileptiques de la websérie, la production de HBO prend le temps d’installer ses intrigues et de marquer des pauses salutaires, à l’image des fréquents soliloques d’Issa qui rappe – plutôt très bien – devant son miroir. Grande force de sa série, la showrunneuse de 31 ans a également choisi d’installer son personnage en couple dès le premier épisode.
On sort immédiatement des carcans habituels des séries dont les protagonistes sont “à la recherche du grand amour” pour se focaliser sur l’amour concret, celui qui épuise et éreinte et qu’il faut sans cesse nourrir pour se sentir heureux.
Issa Rae a créé Insecure avec Larry Wilmore, également producteur exécutif de la série Black-ish, et ce n’est pas une surprise. La petite sitcom du network ABC s’est imposée en deux ans comme une des productions les plus intelligentes du moment, prenant le contrepied des black sitcoms aux tendances assimilationnistes des années 1980 pour décrypter les enjeux d’une famille noire contemporaine.
Humour et fulgurances amères
Les deux séries ont en commun cette envie de ne pas se contenter de dénoncer les clichés mais de les déconstruire, le tout en restant abordables. Aussi lorsque Molly voit arriver une nouvelle collègue noire à l’accent marqué, qui parle fort en faisant de grands gestes, elle ne peut s’empêcher de lui faire observer qu’elle ne devrait pas autant se faire “remarquer”. Entendre : ne pas correspondre aux stéréotypes qui collent à la peau des femmes noires.
“On ne va pas être ce cliché du couple de Noirs qui s’engueulent dans l’allée d’un supermarché low-cost”, lançait deux épisodes plus tôt Issa à son petit ami. Un mélange habile d’humour et de fulgurances amères capables de nous obséder plusieurs jours après le visionnage d’un épisode.
Insecure à partir du 10 octobre, 23 h 20, OCS City. Disponible en replay
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