Une exposition et deux livres retracent l’histoire fascinante des musiques électroniques, des « laboratoires » et de la « musique des bruits » des défricheurs des années 1920 aux dancefloors d’aujourd’hui. Une contre-culture qui a su s’imposer comme le genre musical désormais le plus populaire auprès des jeunes. Essentiel.
En cet après-midi de fin septembre, une foule peu commune, pour un lieu d’art contemporain, déambule dans l’espace de la fondation EDF. Collégiens, lycéens, étudiants et même des enfants de 8-10 ans. Si certains sont probablement en sortie de classe, la plupart sont ici de leur plain gré. Il faut dire que le sujet de l’expo a de quoi intéresser la nouvelle génération: selon une enquête de France Musique, la musique électronique est devenue le genre musical le plus écouté des 15- 24 ans. Une popularité liée à la révolution du numérique certes, mais aussi à la facilité d’accès et de création désormais, avec tout type d’engin électronique, à commencer par le téléphone portable.
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«Ce mec devait se demander à l’époque : est-ce qu’un jour on se souviendra de moi ? » s’amuse une adolescente qui observe une ondioline cet instrument en bois, à clavier, inventé en 1940 en France, qui utilise un système de tube à vide, nous dit le cartel. L’exposition est passionnante, qui fait découvrir ces instruments extraordinaires, la plupart d’entre eux disparus de la circulation ou oubliés car obsolètes, à la fois bijoux de technologie, de lutherie, d’innovation et d’inventivité. Exposées ici comme des œuvres d’art à part entière, ces machines façonnèrent l’histoire du genre pour se confondre au fur et à mesure avec la musique elle-même, reprenant le rêve technologique de Marshall Mc Luhan, le medium est le message. Des fondations, le Thérémine inventé par le russe Lev Termen en 1920, instrument à vent permettant, en bougeant ses mains, de jouer avec l’air comme s’il s’agissait des cordes d’une harpe, jusqu’à la révolution contemporaine du home-studio en passant par le Atari ST des années quatre vingt qui proposa les premiers logiciels de MAO Musique Assistée par Ordinateur, c’est toute l’histoire d’un mouvement, avec ses schisme et son esthétique, qui est ici retracée. Une formidable aventure humaine, technologique et musicale où prédominent les principes d’audace, de créativité et de fun, car il s’est toujours s’agit, avant tout, de s’amuser (et de danser). Certes les pionniers visionnaires en costume-cravate ont des regards sérieux, mais de leurs photos se transmet ce « plaisir de laboratoire », comme le dit joliment l’un des commissaires de l’exposition, Jean -Yves Leloup. Des groupes les plus connus aux défricheurs oubliés par l’Histoire, les principaux acteurs de cette révolution toujours en marche ponctuent le parcours. On comprend ainsi comment cette musique, d’abord savante et expérimentale, a pénétré peu à peu la culture populaire jusqu’aux quidams mixant désormais sur leurs portables des sons qu’ils téléchargent sur des groupes Facebook. Au sol, une frise historique rappelle, année par année, les événements qui jalonnent cette histoire, dressant un parallèle entre les engins électroniques exposés et ce qui se passe dans la culture mainstream. Car l’un influe sur l’autre, la musique captant le zeitgeist de son époque, les révolutions technologiques influençant, en échange, celle-ci.
Au premier étage, dans un espace intitulé « Atelier », on peut expérimenter soi-même les instruments phares de l’électro– synthétiseur, séquenceur, vocodeur. Certains pianotent sur un Mini-Moog de 1972, d’autres s’éclatent sur une boite à rythmes TR808 de 1984. D’autres encore se sont emparés du Collective Loop, une forme de séquenceur circulaire auquel on peut jouer avec son I-phone. Une gigantesque salle de jeu où l’on redevient un enfant, ébahi face aux machines, robots accessibles et sensuelles, expérience presque magique qui donne envie de s’y mettre, de bricoler, d’inventer des sons. Au sous-sol, une chambre obscure reproduit l’atmosphère du club – amplis de toutes tailles au mur, boule disco au dessus de la tête, et une grande platine devant soi. Turntabling et V-Jing sur 33 tour : chacun est invité, d’un coup de main, à faire apparaître l’un des clips d’une centaine de noms de référence du mouvement. L’exposition se clôt en beauté avec les photos de Jacob Khrist, qui documente depuis six ans cette scène festive électro parisienne en pleine effervescence. On pénètre avec lui dans ces lieux industriels, usines désaffectées, interzones, squats, etc. « En quête de sons » s’intitule ce travail remarquable, d’autant plus frappant qu’on le découvre en silence. Des clichés d’anonymes s’oubliant au rythme de la musique, les yeux fermés, en communion avec le DJ, insouciants de leur apparence. Mouvements de corps, cannettes de bière, sourires ; joie, ferveur, charme brut d’une jeunesse résolument acquise à la cause de l’électro. Impression de replonger dans l’atmosphère unique des premières raves des nineties, comme si rien n’avait (trop) changé. La jeunesse ne vieillit pas, comme la musique qu’elle écoute : elle se métamorphose. La boucle est bouclée.
Si l’exposition se termine dans quelques jours, deux livres viennent compléter la réflexion, et l’expérience. Electrosound d’abord, le catalogue de l’expo ouvrage aussi instructif qu’accessible sur le thème. Et, dans un autre registre, la bande dessinée culte Le chant de la machine, de David Blot et Mathias Cousin. Initialement publié en 2000, cette réédition replonge, dans un style délicieusement old school à la Robert Crumb, aux tous débuts de l’aventure à laquelle participa activement David, pilier de radio Nova et initiateur, avec d’autres, des mythiques soirées Respect du Queen en 1996. Ce n’est pas pour rien que les Daft Punk lui rendent hommage, en préface de l’album. A noter enfin : un programme spécial Nuit Blanche ce samedi à l’espace Fondation EDF (plus d’infos dessous).
Yann Perreau
Electrosound – du lab au dancefloor, Espace fondation EDF jusqu’au 2 octobre. 6 rue Récamier 75007 PARIS
Electrosound, ouvrage collectif sous la direction de Jean-Yves Leloup, éditions Le mot et le reste, Fondation EDF, 21 euros, 210 pages.
Le chant de la machine, de David Blot et Mathias Cousin, éditions Allia, octobre 2016, 20 euros, 224 pages
Nuit Blanche à l’espace Fondation EDF
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