Les Black Lips introduisent la pop dans leur garage. Rencontre avec ces vauriens d’Atlanta au flower-punk animal, désormais produits par l’omniprésent Mark Ronson. Critique et écoute.
Dissipons d’emblée un malentendu : les Black Lips ont beau détenir une réputation de sales gosses incontrôlables à l’humour un peu régressif, ils n’en restent pas moins de gentils garçons polis et bien plus malins qu’ils ne voudraient le faire croire. Derrière leurs pitreries scéniques et leur sens un peu exacerbé du jusqu’au-boutisme, ils cachent une sidérante connaissance du monde née de leurs nombreuses heures passées à le sillonner dans un van pourri – un apprentissage en 3D pour une bande de gamins jetés de l’école post-Columbine pour leur forte tendance à la provocation.
“On est tous allés dans une école merdique, raconte Jared Swilley, bassiste du groupe. Quand j’avais 13 ou 14 ans, on m’a envoyé une lettre disant : ‘Tu ne devrais pas essayer d’aller à la fac, tu n’as aucun espoir d’y aller un jour.’ Puis ils m’ont viré : je voulais leur montrer qu’ils avaient tort.”
Plutôt que d’attendre que le monde vienne à eux au fin fond de leur Géorgie natale, les quatre Lips sont donc partis à sa rencontre, éthique punk en bandoulière. L’Inde, Israël, le Mexique, l’Europe sous toutes ses coutures, l’Amérique latine, bientôt le Moyen-Orient, peut-être l’Afrique : les Américains ont avalé des kilomètres de paysages, joué partout où ils le pouvaient, testé toutes les spécialités (y compris les drogues).
Potes depuis quinze ans, ils en ont déjà passé plus de dix sur scène. D’où un esprit de gang solide : les Black Lips tournent ensemble plus de trois cents jours par an, vivent les uns à côté des autres à Atlanta et suivent à la lettre un processus démocratique concocté par leurs soins, où chacun écrit, compose et chante sans jalousie, sans rôle préétabli, ni limites. Depuis la formation du groupe, Jared, Cole, Ian et Joe n’ont pas de plan B. D’où ce besoin impérieux de tout faire à fond – précepte qui prend tout son sens sur scène et que les Américains hyperactifs expliquent par leur amour profond du gospel.
“J’ai grandi dans une église gospel et, bien que je ne croie pas en Dieu, je pense qu’on ne peut pas faire plus authentique que cette musique. Ces gens chantent pour ce qu’ils croient être l’éternité, on peut difficilement faire plus puissant que ça, confie Jared, dont le père pasteur dirige une grosse congrégation aux Etats-Unis. Quand j’étais gamin, les gens qui venaient pour l’office de mon père devenaient fous, le tout à 10 heures du matin, un dimanche, sans alcool et sans intention de baiser. Je sais qu’on ne pourra jamais recréer ça au même niveau avec les Black Lips, mais on essaie de s’en approcher.”
Trop punks pour être hippies mais trop hippies pour être punks, les Black Lips ont donc créé leur propre religion, le “flower punk”, et pourraient bien vivre aujourd’hui leurs plus belles heures grâce à Arabia Mountain, sixième album épique, brûlant, instinctif et viscéral produit par le peroxydé Mark Ronson, spécialiste des sixties depuis son travail sur Back to Black d’Amy Winehouse. “Un mec très gentil, très flegmatique, ouvert d’esprit et très flexible”, indique Cole Alexander, guitariste et encyclopédie vivante du punk.
Même si produit au cordeau, Arabia Mountain sent toujours l’urgence, la mauvaise bière et la descente d’acide. Il rend ivre sans boire, défonce sans dope (la fascinante et psychédélique Mr. Driver) et, comme les messes gospel, il suinte la passion et le lâcher-prise si cher au groupe.
Lancés à 300 km/h sur une route de montagne, une bouteille de vodka à la main, l’autre sous la jupe d’une fille, les Black Lips passent ici maîtres dans l’art du tube animal, celui qui parle au corps plutôt qu’à la tête, avec Go out and Get It, Bone Marrow – où l’on reconnaît un hommage à Plastic Bertrand que le groupe loue pour sa jeunesse au sein du groupe Hubble Bubble – et Raw Meat (“Viande crue”) pour lequel le gang, un peu Jackass sur les bords, a failli tuer Mark Ronson en lui faisant avaler du foie cru avarié.
“Le groupe a été une bonne manière de canaliser notre énergie, nos manières de sauvages. Je crois que sans ça je serais en train de braquer une banque”, déclare Jared en rigolant. De vraies canailles sauvées par le dieu punk.
Concerts : le 28/9 à Tourcoing, le 30/9 à Paris (Cigale), le 1er/10 à Marseille, le 3/10 à Clermont-Ferrand et le 4/10 à Lyon.