Géniale de malice en gouvernante d’enfants bizarres dans le nouveau Tim Burton, Miss Peregrine et les enfants particuliers, Eva Green quitte enfin son carcan de femme fatale et vénéneuse. Sur sa carrière, ses désirs, ses obsessions, la plus mystérieuse et cosmopolite des stars françaises se confie.
Dans Dark Shadows de Tim Burton (2012), vous jouiez une sorcière blonde et méchante, qui meurt à la fin du film. Dans Miss Peregrine…, le cinéaste vous offre le rôle d’une gentille fée brune, qui survit. Il voulait se racheter ?
Eva Green – Je ne sais pas s’il y a pensé comme ça. C’est vrai que Miss Peregrine est un rôle de gentille, mais avec un côté quand même un peu dingue. Elle peut paraître un peu glacée parfois, très stricte, mais les enfants l’aiment et respectent ses règles car ils savent qu’elle les protège. Tim m’a téléphonée pour me demander si ça m’intéresserait de retravailler avec lui. J’adore… Comme si j’allais dire non !
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Il a commencé par m’envoyer le livre de Ransom Riggs, en me disant qu’il s’agissait d’une dark Mary Poppins… Dans le livre, il y a des photos victoriennes d’enfants solitaires, étranges, que Ransom avait trouvées et sur la base desquelles il a imaginé une histoire. J’ai trouvé ces photos tellement burtoniennes, et ça m’a plu. Et puis cette femme qui est prête à tout pour ses enfants, même à risquer sa vie, qui est très maternelle, je n’avais jamais joué ce type de rôle.
« Il y a chez moi un côté un peu volcan qui explose »
Ce rôle représente en effet beaucoup de premières fois pour vous : première fois où vous pouvez être drôle, légère, malicieuse, première fois aussi où il n’y a pas d’enjeu sexuel autour de vous…
J’en ai marre qu’on me définisse toujours comme une femme fatale. Là, dans ce rôle, c’est “mes” enfants, c’est “ma” vie… Pour les Américains, comme c’est Fox qui produit, je ne pourrai pas dire que c’est dark, mais c’est ce côté sombre du personnage qui m’a attirée. Dans cette boucle temporelle où ils doivent vivre, ces enfants ne peuvent pas sortir, sinon ils mourraient, il y a quand même ce thème de l’enfermement qu’on oublie derrière ce film en apparence lisse et charmant, quelque chose de très dramatique. Une forme de folie, et c’est ce que j’ai aimé.
Ce degré de folie est un peu présent dans tous vos rôles. A la fin du film de Gregg Araki, Un oiseau blanc dans le blizzard, quand votre mari vous étrangle, on sent une part de plaisir…
Il y a toujours chez moi un côté un peu volcan qui explose. J’ai toujours été fascinée par la folie et je n’aime que les choses extrêmes. On a tous une part de folie en nous qu’on ne s’autorise pas à exprimer, car justement on n’est pas fou, mais il y a en nous tous quelque chose de borderline.
« Qu’est-ce qui se passe en nous pour qu’on bascule dans la folie ? »
Vous dites d’ailleurs que c’est La Vie d’Adèle H de Truffaut, qui est une histoire de folie, qui vous a donné envie de faire du cinéma…
Oui, l’obsession, le fait qu’une personne soit prête à tout par amour, m’ont toujours fascinée. Ces choses qu’on a en nous mais qu’on éteint pour ne pas finir à l’asile. Qu’est-ce qui se passe en nous pour qu’on y bascule ? ça me passionne.
L’un des messages de Tim Burton, c’est qu’il faut accepter ses différences, sa singularité. Est-ce que la normalité vous ennuie ?
C’est ce que j’aime chez Tim : il comprend l’excentricité des êtres, le cœur des monstres et des incompris, il montre qu’il faut accepter ses particularités… J’aime les choses denses et intenses, le conflit et les bouillonnements intérieurs chez un personnage. Cela dit, je viens de terminer un film avec une réalisatrice suédoise (Euphoria de Lisa Langseth – ndlr), où je joue un personnage très pur, assez lisse, donc on va enfin me voir autrement.
« C’était mon rêve de tourner avec Tim Burton”
On vous catalogue souvent comme “gothique”, mais est-ce que cela correspond vraiment à qui vous êtes, à vos goûts ?
Ça me fait peur, c’est intimidant car ça fait très Nina Hagen… C’est vrai que je m’habille souvent en noir, mais c’est parce que je ne suis pas très coquette. Evidemment, j’ai fait Penny Dreadful, j’adore tout ça, mais c’est très délicat en tant qu’acteur d’être rangé dans une boîte. J’ai toujours été fan de Tim, depuis l’enfance. C’était mon rêve de tourner avec lui.
Si vous aviez vraiment le pouvoir de vivre dans une boucle temporelle, vous choisiriez quelle époque ?
Les années 1970. C’est un cliché, mais je fantasme cette décennie comme celle d’une grande liberté, contrairement à aujourd’hui où il me semble que nous sommes tous un peu enfermés.
Comment travaillez-vous des choses aussi différentes que les scènes de possession dans Penny Dreadful ou la légèreté de Miss Peregrine ? Etes-vous beaucoup dirigée ?
Non, c’est rare. Mais c’est un luxe quand un réalisateur vous donne de la liberté, quand il a foi dans l’acteur et quand ça devient une vraie collaboration. C’était le cas avec John Logan, le créateur de Penny Dreadful, dont j’étais très proche. J’ai beaucoup travaillé en amont avec mon coach car quand on arrive sur le plateau, on doit tourner tout de suite… Ces scènes de possession étaient jubilatoires car extrêmes : il y a une forme de lâcher-prise qui libère complètement. C’est un challenge car on sort de soi, littéralement.
« Avec Tim, c’est qu’on ne sait pas jusqu’où aller »
Logan vient du théâtre, donc il y avait du temps pour creuser un personnage. Pour l’épisode d’une heure où Vanessa Ives est possédée, j’avais demandé qu’il y ait trois caméras pour ne pas avoir à refaire trop de prises. La difficulté avec ces scènes, c’est que je devais être possédée par plusieurs personnages, parler avec leurs voix, et ce sont les transitions entre chaque voix qui peuvent faire ridicule. Et puis on ne sait pas si on se trompe car on n’a jamais vu ça.
J’ai tourné Miss Peregrine entre deux saisons de Penny, c’était donc un peu comme des vacances. Pour incarner Miss Peregrine, il a fallu que je trouve sa façon de bouger comme un oiseau, avec des gestes aigus, rapides. La difficulté avec Tim, c’est qu’on ne sait pas jusqu’où aller, et parfois j’en faisais un peu trop. Mais j’ai eu de la chance, il m’a laissé pointer les gens du doigt alors que dans la vie il déteste ça !
« Ce qui m’attirait, c’était d’être comme un mec”
Le costume de Miss Peregrine doit vous corseter. Il ne vous empêchait pas de vous mouvoir ?
Non. Le costume amincit votre taille mais il est assez souple en réalité. C’était la même chose dans Penny Dreadful. Au contraire, ça vous donne une tenue qui vous force à vous exprimer davantage. J’aime les défis physiques. Pour 300 : la naissance d’un empire de Noam Murro – qui n’est pas un chef-d’œuvre, c’est clair –, j’avais suivi un entraînement de musculation intensif.
Ce qui m’attirait, c’était d’être comme un mec, d’acquérir une force quasiment égale à celle d’un homme – même si c’est évidemment impossible. J’adorais voir mon corps se transformer. Et, évidemment, travailler ainsi sur son corps aide à se glisser dans un personnage. J’aimais travailler avec des mecs qui se battent avec des épées, comme dans les films de Zhang Yimou !
« Roman Polanski est un personnage assez compliqué »
Vous allez tourner dans le prochain film de Roman Polanski, dans une adaptation du roman de Delphine de Vigan, D’après une histoire vraie. Est-ce votre rôle dans Penny Dreadful qui lui a donné envie de travailler avec vous ?
Non, il m’a parlé de Sin City : j’ai tué pour elle de Frank Miller et Robert Rodriguez. Je lui ai dit “Sin City ?!”. Il me l’a confirmé. Je ne sais pas s’il m’a vue dans Penny Dreadful. Nous allons tourner bientôt, et c’est un personnage assez compliqué parce qu’il a de nombreuses facettes, pas faciles à articuler entre elles.
Est-ce que votre mère (Marlène Jobert – ndlr) vous a donné des conseils d’actrice ?
Ma mère est quelqu’un d’inquiet, ce qui est normal pour une mère. Quand je lui ai dit en 2002 que j’allais tourner dans le Bertolucci, Innocents (The Dreamers), elle a eu peur : la nudité, le fantôme de Maria Schneider dans Le Dernier Tango à Paris, ça l’inquiétait beaucoup. Elle avait peur que ça me détruise.
Moi, j’admirais beaucoup Bertolucci, j’avais un poster du Dernier Tango dans ma chambre… Cela relevait de l’évidence pour moi. Pourtant, j’étais très timide. Mais le tournage s’est très bien passé, sans voyeurisme. Ma mère connaît ce métier, sait combien il peut être cruel. Et je suis anxieuse moi-même.
« Je pourrais vous dire que je me suis construit une armure, mais non »
Qu’est-ce que vous avez appris, en seize ans de métier ?
Seize ans ? Non ! Ah si. J’oublie toujours l’âge que j’ai. Les boules ! Je ne sais pas ce que j’ai appris. Mais j’ai l’impression d’être de plus en plus vulnérable au fil des années. Je pourrais vous dire que je me suis construit une armure, mais non. Je crois qu’il est difficile d’être heureux dans ce métier. On dépend tellement des gens, nous sommes tellement jugés. Et en même temps, il faut rester ouvert au monde, malgré toutes les conneries qu’on entend.
Quelles “conneries” ?
La pression : “Tu dois faire ça, tu vieillis, tu n’es pas ‘hot’.” ça me soûle, en fait, j’atteins un état de saturation. Ce que j’ai appris ? Qu’il n’y a pas que ce métier dans la vie, et qu’il faut que je la vive, et là, c’est mon ange gardien qui me le dit.
« Je rêve de montagne… D’avoir une ferme”
Votre mère a arrêté sa carrière de comédienne assez tôt. C’est quelque chose qui pourrait vous arriver également ?
Pas tout de suite. Mais je rêve de montagne… D’avoir une ferme…
Pour rêver de montagne, vous devez en avoir vraiment marre…
(Rires) Ne plus voir aucun être humain ! Non, non, je plaisante. Je ne sais pas, je suis en période de transition.
« Cela me soulage de jouer en français”
Vous venez de tourner un film en Europe – Euphoria de Lisa Langseth, avec Alicia Vikander, qui a également produit le film –, vous allez tourner le prochain film de Polanski… Est-ce qu’il y a un désir de votre part de revenir en Europe, ou est-ce seulement le hasard des projets qui vous ramène de ce côté-ci de l’Atlantique ?
C’est le hasard. Ce sont les projets qui me motivent, l’envie de me jeter à fond dedans. Ensuite, je n’ai plus tourné en français depuis une dizaine d’années, et j’espère que parler ma langue va me donner une liberté technique que je n’ai pas toujours en anglais, où je dois veiller à jouer avec les bonnes intonations. Je n’aurai pas besoin d’aide, d’un coach de langue. Cela me soulage.
Est-ce que vous votez en France ?
Non.
Vous êtes éliminée !
(Rires)
Miss Peregrine et les enfants particuliers de Tim Burton, en salle le 5 octobre
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