Auteurs de la B.O. de l’année, Kyle Dixon et Michael Stein se distinguent également dans leur groupe texan SURVIVE. Rencontre à l’occasion de la sortie de leur nouvel LP.
Chaque minute de chaque jour sur Terre, un petit million de personnes fait glisser son curseur en bas de l’écran pour zapper rapidement le générique. Chacun est pressé de savoir si Tony Soprano va boire du jus d’orange, si Frank Underwood va perdre ses nerfs ou surtout si Sookie va finalement préférer Bill ou Eric. Les séquences d’ouvertures des séries font à notre époque l’objet d’un dédain injuste, symbole de notre société où plus personne ne veut prendre le temps de prendre le temps. Se mettre dans l’ambiance ? Pas la peine. On passe direct à l’action.
Pourtant la série Stranger Things semble échapper à la règle. Sur les réseaux sociaux, on se paluche sur ces douze lettres en néon rouge flottant mystérieusement sur un fond noir opaque. Évidemment, le générique du programme des frères Duffer n’a rien d’extraordinaire, si ce n’est sa relative courte durée : 50 secondes. En revanche, les nappes de synthés léchouillant vos oreilles au même moment constituent sans nul doute le meilleur thème de série télévisée des années 10. Les compositeurs de ce générique, Kyle Dixon et Michael Stein, explosent d’un rire gêné à cette remarque. Pourtant, ils savent avoir fait du bon boulot. Ils savent surtout qu’ils n’ont vraiment plus envie d’en parler.
“Bien sûr que c’est génial”
Et pour cause, le duo, tête pensante du groupe texan Survive, génère une attention sans précédent depuis la sortie du show de Netflix. Ce dont Kyle Dixon, barbe noire, t-shirt blanc et de faux airs d’Adam Goldberg parle sans engouement :
“C’est n’importe quoi, pouffe-t-il effaré. Je ne peux pas marcher dans la rue sans qu’on m’arrête pour me parler de la série. Bien sûr que c’est génial, je ne vais pas me plaindre. Mais j’en ai marre d’entendre parler de Stranger Things.”.
Dommage, car les neuf morceaux d’RR7349, le nouvel album de Survive (à découvrir sur le player ci-dessous), rappellent souvent les sons concoctés pour les frères Duffer. On a beau lutter, le cerveau génère des scènes en mode automatique. L’intro, A.H.B. sonne comme la B.O. d’une ballade en vélo dans la nuit, alors que Low Fog semble illustrer la découverte d’un corps dans le brouillard. Sorceror mime une scène de fin, durant laquelle une Eleven ensanglantée porterait Mike à bout de bras dans une rue de banlieue mal éclairée. Copter, enfin, renverrait les personnages à l’adolescence, pourchassant un méchant dans un club enfumé aux néons verts. En définitive, seul le titre phare du disque, High Rise, plus lourd, à l’ambiance plus noire, s’écarte vraiment de la nostalgie 80s, non sans rappeler une version plus propre des travaux des Français d’Egyptology. Consciemment ou non, Survive semble comme Stranger Things influencé par des heures de télé dans les années 80, de John Carpenter à Blade Runner.
Résultat des courses, on a tendance à oublier qu’à l’inverse de la B.O. de la série, l’album est composé par quatre personnes. Et non deux. Chaque membre du quartet porte le titre de « compositeur et performer« . Mais Kyle Dixon ajoute une particule à chacun. Il se décrit ainsi comme directeur artistique du groupe, et Stein comme producteur et ingénieur. Il présente Mark Donica comme « le technicien lumière » et Adam Jones comme « un bourreau de travail, président des holodecks », en référence aux salles virtuelles de Star Trek.
Une démocratie imparfaite
Si cela fait maintenant huit ans que Survive traîne ses barbes et jeans délavés dans les rues d’Austin, Texas, l’amitié unissant Kyle et Michael remonte à plus longtemps. Avant de débarquer dans la capitale texane, l’ensemble du groupe grandit dans la bien moins cool ville voisine de Dallas. C’est là que les deux vieux copains se rencontrent, à l’âge de 14 ans. Kyle explique :
“Je vivais dans le centre de Dallas, mais traînais dans la banlieue, qui ressemble beaucoup au reste de la ville. J’allais voir des potes, je skatais. On s’est connu là : le skate-park d’Eisenberg (45 minutes au nord-est de Dallas, près de l’autoroute George Bush, NDLR) On causait de Mobb Deep et du Wu-Tang ”.
Uni par la musique, le duo ne se quitte plus et fait rapidement la connaissance d’Adam Jones. Ensemble, ils se forgent une culture sonique mêlant “des artistes de Rephlex Records, le label d’Aphex Twin, Squarepusher, Boards of Canada, Giorgio Moroder” mais aussi “des trucs plus obscurs comme Amon Düül II et plus bizarre encore”. Peu de temps après, Kyle et Adam, inscrits à la Texas State University de San Marcos se mettent à tripoter leurs machines plus sérieusement. C’est ainsi qu’ils rencontrent Mark, attiré par le bruit et l’excitation.
Après la fac, ceux qui ne sont pas encore Survive recherchent un terrain plus propice à leur expression musicale. Ce sera Austin, pour le bonheur de l’ensemble de l’équipe. “Je détestais Dallas ! lâche Kyle, comme s’il se l’avouait pour la première fois. Tout était trop fake et trop conservateur. Je devais prendre la voiture pour voir des concerts ailleurs”. Michael Stein renchérit :
“Austin est plus sûre. Tu arrives et tu te demandes : mais où est le ghetto ? Je peux laisser ma porte ouverte. Il n y a aucun danger. À Dallas, même la police est assez ghetto. Ils entendent du rap et sortent de la voiture brancher les filles en dansant : What’s up girls ?!’”
Malgré la délivrance du déménagement, les trois membres du groupe partagent “une maison merdique” avec “tout le matos dans le salon et des plats sales dans la cuisine”. De 2009 à 2016, Survive sort deux LPs, une tripotées d’EPs, joue quelques concerts sans jamais vraiment exploser. Jusqu’au jour où Kyle reçoit un email qui changera tout. « Les frères Duffer nous ont contacté le 3 juillet 2015. Bizarrement ils nous ont trouvé sur Spotify. Ils ont utilisé un de nos titres sur un trailer pour pitcher la série à Netflix. »
Évidemment, Stein et Dixon ont de la concurrence, mais les créateurs de la série mettent en place un processus de sélection naturel : « Ils ont utilisé nos démos pendant les castings. La manière dont la musique fonctionnait pendant les auditions a contribué à nous faire sortir du lot mais aussi à choisir les acteurs » Si la musique rend si bien dans Stranger Things, c’est car elle n’est pas réfléchie à part mais comme partie d’un tout, comme si elle était vivante.
Thom Yorke, X-Files et Fraser
Reste qu’aujourd’hui, les deux autres membres du groupe, Adam et Mark pourraient se sentir frustrés. Le sujet de leur non-participation à la série phénomène de 2016 semble toujours épineux. Ainsi, Michael tente une explication vague : “tout le monde voulait participer mais techniquement ce n’était pas possible » alors que Kyle assure : « on est tous heureux que le groupe ait attiré plus d’attention, ça a tué dans l’œuf des problèmes qui auraient pu éclore”. Des propos appuyés avec une nouvelle de poids : Survive partagera l’affiche d’un festival de Houston avec leur héros d’adolescence, Aphex Twin. Malgré la hype Stranger Things, le duo assure que le groupe demeure une démocratie. Mais pour reprendre une vieille métaphore de Thom Yorke, si Survive étaient les Nations-Unies, ce serait bien Dixon et Stein qui joueraient le rôle de la Maison Blanche.
En parallèle de leur projet originel, les deux anciens compères du skate-park comptent bien poursuivre une carrière dans la composition de musique à l’image. Si Kyle explose de joie à la nouvelle selon laquelle l’Islandais Johann Johansson pilotera la musique du reboot de Blade Runner, il aurait aimé y participer. Au Texas, on voit toujours les choses en grand. En attendant, Dixon confesse être comme tout le monde : “la plupart des séries qu’on regarde ont des musiques de générique horribles. En principe, je passe toujours l’intro. Sauf si c’est X-Files ou Frasier”.
Que Kyle Dixon le veuille ou non, l’album RR7349 est une formidable suite fantasmée, nourrissant l’ambiance mystérieuse et nostalgique de Stranger Things. Hormis les fans de la première heure, ceux qui suivent l’évolution de Survive n’attendront qu’une chose : de nouvelles aventures d’Eleven, Mike et les autres, bercées par les synthés de ces génies de la bande originale. Ne reste plus qu’à attendre l’été prochain et le deuxième volet de la saga des frères Duffer.
Album rr7349 disponible à partir du 30 septembre en physique et digital.