En septembre 1976, les Sex Pistols viennent à Paris pour leurs deux seuls concerts français. Le journaliste Michel Esteban, futur fondateur du label Ze Records, n’en perd pas une miette. Il s’en souvient ici.
J’avais rencontré Malcolm McLaren à New York en 1974, il tentait vainement de redonner vie aux New York Dolls. La styliste Vivienne Westwood les avait affublés de vinyl rouge. Ils jouaient tels des gardes rouges échappés d’un gang bang fetish devant un énorme drapeau communiste. Ultime provocation infantile en référence à la guerre au Vietnam, qui ne suffirait pas à abréger la désintégration finale des Dolls.
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Lors d’un de leurs derniers concerts à New York au Mercer Arts Center, Television assurait leur première partie et il ne fallait guère être visionnaire pour voir que le look “Nouvelle Vague” référencé Jean-Luc Godard de Tom Verlaine et de Richard Hell, cheveux courts hirsutes, allait remiser aux oubliettes le glam à talons hauts, cheveux longs et boa des Dolls un peu dépassés par les événements.
Malcolm, fin renard, l’avait lui aussi compris et quand Richard quitta Television, qui ne pouvait assumer deux leaders, il lui proposa de venir avec lui à Londres pour être le chanteur d’un groupe dont le concept commençait à germer dans son malicieux cerveau. Ce groupe allait s’appeler les Sex Pistols. Richard déclina l’invitation, ne voulant pas quitter New York. Malcolm exporta son look et ses épingles à nourrice avec lesquelles il rapiéçait ses T-shirts et qui allaient devenir le symbole un peu pathétique d’une génération en manque d’idéal.
“Confidences d’un couturier situationniste”
Son dorénavant fameux “Blank Generation” (génération néant) sera par la suite adapté en “Pretty Vacant” (creux et jolis) ! En mai 76, nous avions mis les Sex Pistols en couverture de Rock News “Special punk”, leur première couverture de magazine. Malcolm m’avait fait écouter les maquettes d’un futur album produites par Chris Spedding, qui bien que de facture assez classique musicalement, laissait déjà apparaître tout le côté subversif des interprétations de John Lydon.
Nous avions fait un interview de Malcolm qui sera publiée dans Rock News sous le titre “Confidences d’un couturier situationniste”. En juillet 76, Malcolm m’invita à voir ces nouveaux poulains, d’abord à Hastings, une petite station balnéaire déprimante sur la côte anglaise. Ils faisaient la première partie d’un groupe passé depuis aux oubliettes, du nom de Buggie ! Les Pistols enflammèrent un public pré-pubère qui n’attendait que ça pour foutre le bordel. Jordan, à son habitude maquillé comme une voiture volée, et Sid Vicious étaient de la virée, se tenant sur la gauche de la scène durant le concert devant les yeux exorbités de gamins ébahis. Ce fut une première expérience mémorable !
Suivit un concert au fameux Club 100 à Londres : Lizzy Mercier Descloux dans Rock News avait en introduction magnifiquement décrit l’événement : “Ce mardi les Pistols passe au Club 100. Swoop, Swoop, Oh Baby, Rock, Rock… Mon royaume pour un vibromasseur ! ‘Qu’est-ce que le mauvais goût ?’, vous demandent les Sex Pistols. Alors !… La grandeur du dépouillement et la froideur de leur ennui qui glacent les os de tous ces gens dans la fleur de l’âge.”
Et puis fin août le fameux concert du Screen on the Green, réunissant les Mancuniens Buzzcocks, The Clash, dont c’était la deuxième apparition publique, et qui avaient encore deux guitaristes, Mick Jones et Steve Levine, et enfin les Sex Pistols.
Les Sex Pistols au Chalet du lac
De retour à Paris, mon ami Pierre Benain, qui faisait entre autres quelques piges dans Rock News, était chargé de la programmation d’un nouveau club, une ancienne discothèque située dans le bois de Vincennes : le Châlet du Lac. Il cherchait un groupe pour l’inauguration en septembre. Il avait, si ma mémoire est bonne, un budget de 20 000 francs (3 000 euros). Je lui parlais des Sex Pistols et le mis en contact avec Malcolm, qui sauta sur l’occasion. Une fortune pour eux : ils n’avaient jamais été payés aussi cher ! De plus, jouer à Paris leur donnait une stature “internationale” auprès de la toute-puissante presse musicale anglaise !
Malcolm et les Sex Pistols débarquèrent à Paris pour deux concerts les 3 et 5 septembre, accompagnés de leur bande de fans : le “Bromley Contingent”, baptisé ainsi par la journaliste Caroline Coon du Melody Maker, également du voyage avec John Ingham de Sounds et, je crois, Jon Savage, futur auteur de England’s Dreaming qui retrace parfaitement l’histoire des Pistols. Le “contingent” à Paris était composé de Siouxsie Sioux (futur Banshees), Sou Catwoman, Simon Boy “Barker”, Debbie Juvenile, Steven Severin (futur Banshees) et Billy Idol (futur Generation X). Il conduisait le van dans lequel tout le monde dormait.
A l’instar des Superstars d’Andy Warhol, la petite cour qui gravitait autour des Pistols s’était affublée de ces pseudonymes plutôt naïfs. John Lydon avait donné l’exemple en se baptisant Johnny Rotten, ce qui obligera plus tard certains comme Sid Vicious à se conformer à l’image du nom qu’ils s’étaient donné. Malcolm m’avait envoyé quelques posters sérigraphiés à la main pour les coller dans Paris. J’en ai gardé deux exemplaires. Aujourd’hui de belles pièces de collection qui, ironie de l’histoire, se retrouvent dans les salles de ventes tel Christies vendues à prix d’or !
Les deux sets des Pistols au Châlet du Lac, devant assez peu de monde en fait, furent plutôt réussis malgré un public peu réceptif – ah, ces poseurs français ! Le premier concert le vendredi soir fut le meilleur, celui du dimanche en fin d’après midi fut un peu plus décalé. Heureusement, c’est celui du vendredi que j’ai enregistré ! Ce furent les deux uniques prestations des Pistols à Paris.
Le samedi après-midi, Lizzy et moi avions retrouvé tout ce petit monde au café des Deux Magots à Saint-Germain-des-Prés sur l’initiative de Caroline Coon, parce que c’était là que Sartre et les existentialistes traînaient… Sartre ? Pas grand-monde de cette bande n’en avait jamais entendu parler, encore moins lu un livre… Mais John avait fait l’attraction et on avait passé un bon moment !
“Un aspect très clean”
Dans la série “l’histoire jugera” et pour l’anecdote, l’inénarrable Alain Pacadis avait écrit le 3 septembre 1976 dans sa rubrique Nightclubbing de Libération (et sans les avoir jamais vus ni entendus) :
“Les Sex Pistols, c’est aussi un groupe londonien managé par l’horrible Malcolm McLaren, initiateur des nouvelles modes britanniques dans sa boutique de King’s Road, Sex, ex-Let it Rock, ex-Too Fast to Live, Too Young to Die! Ils ont un aspect très clean et entrent en scène en disant ‘We hate hippies, we hate long hair, we hate drugs.’ C’est une espèce de réplique anglaise des Stinky Toys en moins radical et moins branché. Ils reprennent No Fun, que les Stooges avaient écrit quand ils en étaient à quatre sachets par jour. Ils passeront dans un nouveau club : le Châlet du Lac à Vincennes, qui accueillera des groupes de rock deux week-ends par mois, le vendredi soir et le dimanche. Les Pistols joueront dimanche 5 septembre à 16 h.”
“Un groupe à l’aspect clean… Une espèce de réplique anglaise des Stinky Toys en moins radical et moins branché…” Sans déconner, Pacadis, dans quel état étais-tu pour écrire cela ? Quant à Jon Savage, dans son bestseller England’s Dreaming, il écrira :
“Pour leur apparition devant des stylistes comme Castelbajac et l’aristocratie punk française – un propriétaire de magazine comme Michel Esteban, Marc Zermati et les écrivains Yves Adrien et Alain Pacadis –, Vivienne et Malcolm dévoilèrent un nouveau costume adapté à leur rang, confirmé par le Rock News d’Esteban, de couturier situationniste [en français dans le texte]. Au Châlet du Lac, les Sex Pistols se tenaient sur un sol éclairé de lumières clignotantes, aveuglantes : flanqué de Matlock et de Jones dans leurs toutes nouvelles chemises “Anarchy”, John Lydon prenait ses poses de bossu dans des atours extraordinaires appelés à devenir le costume Bondage.”
“L’aristocratie punk française” (???). Il n’y a vraiment qu’un journaliste anglais pour écrire des trucs pareils. De plus, je n’ai jamais été ni revendiqué être punk et encore moins aristocrate, mais si je devais choisir une catégorie je pencherais plutôt pour la seconde !
Quelques semaines plus tard ce sera le festival Punk du Club 100 à Londres et l’année 1976 se terminera tragiquement par le désastreux “Anarchy in the Uk Tour” qui précipitera les Pistols dans leur bérézina, mais c’est une autre histoire !
Par Michel Esteban
Extrait du livre à paraître Right Time, Right Place. (collection Partners in Crime, Michel Esteban Editeur). Parution janvier 2017.
www.partnersincrime.fr
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