La bière coule à flots à l’Oktoberfest de Munich. Chaque année, plus de sept millions de litres du breuvage bavarois sont avalés, renversés et régurgités sur les parquets des tentes à bière. On y était, on vous raconte.
» O’Zapft is ! » À midi pile, l’annonce retentit dans la Schottenhamel Festhalle, la plus ancienne des tentes à bière de l’Oktoberfest : la bière est tirée. Comme le veut une tradition lancée dans les années 1950, c’est le maire de Munich en personne qui perce le tout premier fût de bière qui sera vidé durant l’Oktoberfest. Chope d’un litre à la main, Dieter Reiter (SPD) nous confie qu’il pourrait écluser quelques autres litres sans problème, si seulement il n’était pas là pour affaires.
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Quatorze bières à la fois
Autour de la dizaine de notables en costumes bavarois qui trinquent avec lui sous les flashs des photographes, c’est le branle-bas de combat pour servir les 6.000 personnes attablées sous l’immense tente depuis neuf heures du matin. Les serveuses en dirndl déplacent des montagnes de chopes. Les plus entraînées parviennent à empiler jusqu’à quatorze bières à la fois, qu’elles portent serrées sur leur cœur pour ne pas briser leurs poignets.
La foule commence à boire, et à boire, et à reboire encore. Les visages rougissent, sous la lumière crue, l’orchestre bavarois joue « La bamba », peinant à couvrir le boucan phénoménal qui s’élève des tablées. Quelques centaines de mètres plus loin, dans la Hacker Festzelt, la tente de l’une des six brasseries munichoises autorisées à vendre de la bière à l’Oktoberfest, on danse déjà debout sur les bancs.
Environ tous les quarts d’heure, l’orchestre entame « Ein Prosit der Gemütlichkeit », la chanson à boire emblématique de la Fête de la Bière, celle qui fait se lever et s’entrechoquer les chopes en riant. Pour Brigitte Veiz, c’est comme un mantra : « Ce rituel collectif transforme la foule hétérogène en masse », explique cette psychothérapeute munichoise devenue une experte de l’Oktoberfest, qu’elle compare aux fêtes de Bacchus dans son livre Das Oktoberfest. Masse, Rausch und Ritual. « Avec ces chants et ces gestes, et l’alcool bien sûr, les gens atteignent une sorte d’extase. »
« La colline du vomi »
Dehors, malgré la pluie battante, les premiers « cadavres de bière », comme on appelle en allemand les buveurs de bière profondément endormis, commencent à apparaître sur la butte verdoyante que les gens d’ici surnomment la « colline du vomi », derrière la Hofbräu Festzelt, le repaire des touristes étrangers avec sa bière à 6,3%.
Ça ronfle, ça geint, ça titube. Chaque année, le blog local « München kotzt » (« Munich vomit ») tient la chronique de ce concentré de sordidité, façon public shaming, en mettant en ligne à chaque cuvée des portraits de ces dormeurs du val le nez dans le vomi, les dirndl retroussées, les Lederhose maculés de pisse. Leurs auteurs se cachent dans un anonymat confortable, et veillent également à celui de leurs victimes, dont les visages sont floutés.
Durant les seize jours de l’Oktoberfest, le vomi et les flaques de pisses finissent par devenir une composante du paysage urbain à Munich, au point que cette année, la mairie a mis en place une hotline proposant un service de nettoyage gratuit aux habitants dont le pas de porte n’a pas été épargné.
L’art de faire durer l’ivresse
Rien que durant les trois premiers jours de la Fête de la bière, le poste de premiers secours installé sur place a eu à traiter cette année 97 cas d’intoxication alcoolique aiguë. « Il s’agit en majorité de jeunes hommes qui viennent de l’étranger. Ils ne connaissent pas leurs limites, ne savent pas que la bière servie à l’Oktoberfest est plus forte que d’habitude, et il y en a qui font le voyage uniquement dans le but de se soûler », explique Georg Voit, chef d’intervention à la Croix Rouge bavaroise.
Brigitte Veiz confirme :
« Les Bavarois plus âgés, eux, alternent chope de bière et chope de bière sans alcool. Tout l’art réside dans le fait de faire durer l’ivresse. Cela permet de rester assis huit heures dans une tente sans s’écrouler. »
Cette beuverie contrôlée a également ses défenseurs, l’Association contre le remplissage frauduleux, 4.000 membres, qui envoie chaque année ses émissaires mesurer la quantité de bière servie dans les chopes et publie la liste des tentes à bière qui « arnaquent » le plus les clients. Une des revendications centrales de cette association de consommateurs est de limiter le prix de la chope d’un litre à 7,10 euros.
Un seuil déjà dépassé depuis dix ans, les prix n’ayant cessé d’augmenter, atteignant cette année entre 10,40 et 10,70 euros la chope selon les brasseries. Un prix qui n’effraie visiblement pas ceux qui, sous les applaudissements de la foule, tentent de célébrer le binge drinking en avalant un litre de bière d’une seule rasade. Sauf à s’y reprendre à deux fois, à en croire l’anecdote d’une habituée des lieux :
« Trois minutes après avoir bu toute sa chope, l’homme qui était à la table d’à côté l’an dernier a tout régurgité. Sa chope était là devant lui, à nouveau remplie. »
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