La diva franco-camerounaise Sally Nyolo revient à la source
par des chemins détournés, sur un nouvel album magique. Critique et écoute.
En 1998, la chanteuse Sally Nyolo redécouvrait le pays de ses ancêtres, le Cameroun, où elle a vécu une partie de son enfance. Un come-back plutôt discret, quoique motivé par le tournage d’un documentaire pour une chaîne de télé française, consacré notamment à un pèlerinage dans son village natal d’Eyen-Meyong et à la remontée en pirogue d’un fleuve qui serpente au milieu de la forêt équatoriale, la Lobé.
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Au cours de ce voyage, une tribu pygmée vint l’accueillir par un chant spécialement composé en son honneur, intitulé Sally Nyolo. Il existe aujourd’hui plusieurs versions de Sally Nyolo, dont l’une figure en toute fin de La Nuit à Fébé, son sixième album, le plus itinérant et le plus brillant de sa discographie. “Ce voyage fut un choc pour moi, et une source d’inspiration”, reconnaît Sally. A l’époque, elle avait ramené de ce périple la sensation rassurante d’appartenir à ce monde immuable et primordial d’avant la machine, un monde rassasié de couleurs, de senteurs et de vibrations.
Avec à sa disposition une langue-véhicule, l’éton, et un rythme trépidant, endiablé, le bikutsi. Elle en rapporta aussi un grand bâton honorifique, le “kak”, symbole de force et de sagesse – assez rarement décerné à une femme –, ainsi qu’un instrument, le “mvet”, impressionnante harpe-cithare qu’utilisent les conteurs de villages lors des veillées pour délivrer des épopées et des récits mythiques.
D’une certaine manière, ce voyage se poursuit encore aujourd’hui dans sa vie comme dans son imaginaire. Car si La Nuit à Fébé est un tour de magie, c’est bien celui que Sally s’est joué à elle-même en allant se ressourcer auprès des gens de la forêt. Celle qui fut choriste de Nicole Croisille et de Jacques Higelin, qui a fait partie du groupe Zap Mama, n’a cessé depuis de tisser des liens musicaux entre ces deux rives d’elle-même que sont le Cameroun et la France. Elle a appris la technique du mvet, puis celle du balafon, cousin du xylophone, dont les sonorités boisées trament sa nouvelle production, conçue entre Afrique et Normandie. Elle a perfectionné en le chantant sa pratique de l’éton. Elle a aussi multiplié ses visites chez les Pygmées et s’est fait construire un studio sur l’une des collines surplombant Yaoundé, ce fameux mont Fébé qui prête son nom à l’album.
De cela, elle a tiré cette étonnante balade entre musique ethnique et chanson française, entre comptines pour adultes (les désarmants Love et Toi et moi) et plongées dans l’impénétrable des cultures premières (Ngoulaï). Elle a obtenu ces folâtresques entremêlements de sonorités et de langues (éton, français, anglais) qui vont bientôt obliger une chancelière allemande et un ministre de l’Intérieur français à reconsidérer complètement leur condamnation commune et sans appel du multiculturalisme.
Car dans le creuset toujours bouleversé de son unité, à la fois femme-racine et femme-monde, Sally a réussi à faire de l’éclatement de sa propre histoire une trans-histoire, à l’instar de cet étonnant retour de l’écrivain russe Alexandre Pouchkine sur les traces de son arrière grand- père africain, évoqué dans le magnifique Stolen by Night. Elle a réussi l’impossible : harmoniser le chaos.
Concerts : le 3/11à Paris (Café de la Danse), le 15 à Valence
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