Dans « The West Wing. Au coeur du pouvoir » (éd. PUF), la critique et historienne du cinéma Carole Desbarats propose une incursion intéressante dans les rouages de la série politique qui a dévoilé pendant sept ans les coulisses de la Maison-Blanche.
Si les jeunes téléspectateurs ne jurent aujourd’hui que par les séries politiques telles que House of Cards ou Scandal, ils ne savent probablement pas qu’elles s’inspirent en partie d’une série vieille de dix-sept ans. The West Wing (A la Maison-Blanche en français) est l’une des premières incursions de la télévision dans le monde politique. Elle dépeint le quotidien de l’équipe resserrée qui entoure le Président des Etats-Unis à la Maison-Blanche, et arrive en sept saisons à rendre leurs aventures passionantes. Les audiences américaines, qui frôlent en moyenne les 16 millions de personnes, en témoignent.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’historienne et critique de cinéma Carole Desbarats décrypte dans The West Wing. Au coeur du pouvoir (éd. PUF) la manière dont cette série a réussi à devenir culte, aussi bien pour le téléspectateur lambda que pour les hommes politiques. Le programme a tellement imprégné la société américaine que le Président fictif Jed Bartlet, campé par Martin Sheen, a été préféré à Bush dans un sondage datant de l’année 2000. Avec des intrigues centrées sur des questions politiques et sociétales complexes, rien ne prédestinait pourtant la série à séduire autant les téléspectateurs.
Un téléspectateur jugé intelligent
L’une des premières clés du succès de The West Wing, selon Carole Desbarats, est que la série d’Aaron Sorkin part d’un postulat bien précis : « faire confiance à son spectateur, ne pas le sous-estimer ». Le programme suppose que le téléspectateur qui la regarde est une personne intelligente, prête à suivre des intrigues complexes et de qualités, traitant de « questions de politique spécifiquement états-uniennes ».
Des armes à feu à la peine de mort, en passant par l’homosexualité dans l’armée ou le racisme ordinaire, beaucoup de thèmes politiques et sociétaux sont abordés. La série distille au cours de l’épisode toutes les informations nécessaires pour comprendre les intrigues, parfois absconses pour une personne peu familière de la sphère politique.
Pour donner un certain rythme aux dialogues et pousser le spectateur à calquer « l’agilité de raisonnements parfois incompréhensibles » des personnages, un procédé nommé le walk and talk est utilisé. Les hommes politiques sont vus en train de parler et marcher en même temps :
« (…) L’effet d’entraînement emporte [le téléspectateur] dans le raisonnement et, tel un skieur que la vitesse maintient en équilibre sur l’eau, le téléspectateur entre peu à peu dans ce qui lui était inconnu, intimement convaincu que, avant la fin de l’épisode, ceux qui imaginent et mettent en oeuvre The West Wing lui permettront de comprendre ce qui lui était étranger. »
Un réalisateur inspiré par la Screwball Comedy
Si la série détonne également dans le paysage télévisuel est qu’elle réussit à rendre l’ordinaire fascinant, en mettant l’accent sur le savoir et la culture des personnages. Ces dernier possèdent une large palette de connaissances, de l’histoire au droit en passant par la faune et la flore. La question du savoir semble indissociable de la matière politique. Carole Desbarats note ainsi :
« (…) Il est assez rare de faire du savoir un rouage de la séduction du spectateur, assez rare pour que l’on reconnaisse là une spécificité de l’écriture d’Aaron Sorkin »
La série doit en effet beaucoup à l’exigence et à la vision de son showrunner Aaron Sorkin, qui même s’il la quitte après la saison 4, continuera de l’influencer. Il a exposé dans son programme de fines analyses de la politique américaine, mais a surtout donné naissance à des personnages « fascinants et séduisants » qui « ont tous leur part de complexité ».
Sorkin, admirateur du cinéma des années 40, nourrit implicitement The West Wing de références à la Screwball Comedy, un sous-genre de la comédie hollywoodienne. La série présente ainsi « un rythme enlevé », « une excentricité » et l’idée que « le monde serait perfectible », autant de détails qui relèvent de la Screwball Comedy.
Surtout, elle met en scène des personnages féminins forts et dominateurs, à l’image de CJ, incarné par Allison Janney, passé du second au premier plan pour devenir Chief of staff (chef de cabinet). CJ a été inspirée par Dee Dee Myers, la jeune porte-parole de Bill Clinton pendant ses deux premières années de Président, qui a par ailleurs apporté son savoir à la série, brouillant les pistes entre fiction et réalité.
Une alternative à la réalité
L’originalité de la série réside en effet dans ce brouillage entre la fiction et la réalité. Des hommes et femmes politiques, comme Dee Dee Myers et Patrick Cadell, qui a travaillé avec les anciens chef d’Etat américains Jimmy Carter et Joe Biden, ont été engagés comme consultants pour que le récit soit proche de la vie politique à la Maison-Blanche.
Plusieurs parallèles peuvent ainsi être dressés entre The West Wing et la réalité. Le programme s’inspire fortement de la période de prospérité des deux mandats de Bill Clinton, dont Jed Bartlet apparaît comme une sorte de double fictionnel. Les deux hommes partagent « un intérêt similaire pour l’éducation, une même réussite sur la diminution du chômage, un souci analogue de rapprocher les adversaires israéliens et palestiniens ».
Jimmy Smits as Matt Santos is ????. Ooft. pic.twitter.com/QdYNUh8BOZ
— Ems (@emsler) 8 août 2016
La série surpasse même par moments la réalité et se révèle prémonitoire pour certains instants de la vie politique américaine. L’élection dans la dernière saison de Matt Santos, un président latino, semble précéder celle du premier président noir des Etats-Unis deux ans plus tard. La mise en scène d’émeutes raciales, à la suite de la mort d’un jeune afro-américain par la police, fait également écho à de nombreux faits divers récents.
Avec un gouvernement très à gauche et une tendance à idéaliser le passé, The West Wing devient un refuge pour beaucoup d’Américains au moment de la présidence de George W. Bush. La série crée une réalité alternative plus captivante et enrichissante, où s’engouffrent près de 16 millions de téléspectateurs chaque jour. Disponible sur Netflix, on parie que certains sont encore plongés dedans plutôt que de regarder Donald Trump faire ses pitreries.
The West Wing. Au coeur du pouvoir, Carole Desbarats, éd PUF, 182p, août 2016
{"type":"Banniere-Basse"}