A la fois procédé de mise en scène et sous-genre cinématographique, le « found footage » a déployé ses motifs narratifs et esthétiques de la science-fiction à l’horreur, du film de guerre au (faux) documentaire. A l’occasion de la sortie de « Blair Witch », retour sur ce que ces « enregistrements trouvés » nous ont offert de meilleur.
Le found footage est un procédé narratif et une technique de mise en scène qui consiste à donner l’illusion au spectateur que les images qu’il reçoit ont été tournées par les protagonistes du film. Longtemps l’apanage de cinéastes militants ou expérimentaux (Guy Debord, Martin Arnold, Ken Jacobs, Jean-Luc Godard…), ces « enregistrements trouvés » au point de vue subjectif visent à favoriser l’identification du spectateur en le plongeant de manière immersive au cœur de l’action, et à augmenter l’impression de réel en jouant sur la frontière entre la fiction et le documentaire. Le fait que cette forme cinématographique à-priori naturaliste rencontre souvent les imaginaires débridés du fantastique et de l’horreur constitue à curieux paradoxe, comme si les réalisateurs avaient besoin d’une excuse rationnelle pour « vendre » leurs fantasmes les plus fous.
Le recours à cette « caméra personnage » conduit parfois à une unicité du point de vue, et souvent à des scènes invraisemblables : pourquoi, même aux tréfonds de l’horreur et au bord de la mort, les personnages s’accrochent-ils à leur caméra comme à une bouée de sauvetage pour continuer à filmer ? La volonté de faire passer les enregistrements comme authentiques induit un travail sur l’image et le son volontairement dégradé, un montage éclaté et une prise de vue hystérique en caméra à l’épaule ou au poing, un mouvement constant souvent nauséeux (on parle d’ailleurs chez certains spectateurs d’un phénomène de « cinétose » proche du mal des transports). Cette apparente absence de stylisation, voire de mise en scène, est heureusement habilement contournée par des cinéastes inventifs, qui pensent la caméra comme sujet de leur mise en scène et envisagent ainsi la piste du méta, quand ils n’expérimentent pas autour des types d’images et de leur texture.
Mais le found footage est également l’élément clef d’un modèle économique aux airs de formule magique pour producteurs ambitieux. En permettant des tournages rapides, sans tête d’affiche (si les images sont documentaires, il n’y a pas de raison d’y croiser Leonardo DiCaprio) et en théorie peu gourmands en effets spéciaux, les coûts de production peuvent devenir ridiculement faibles. Un gain d’argent déplacé vers des campagnes de promotion hyper-agressives et virales, qui transforment ces petites productions en succès écrasants au box office, et ouvrent la voix à des franchises recyclant leur pitch à l’infini.
Avant d’aller frisonner une nouvelle fois dans la forêt de Blair Witch, retour sur dix jalons essentiels du found footage.
Cannibal Holocaust, de Ruggero Deodato (1980)
Une équipe est envoyée au fin fond de la jungle amazonienne à la recherche de quatre journalistes disparus deux mois auparavant. Leur expédition les mène au bout de l’horreur, dans un face à face meurtrier avec une tribu d’indiens cannibales. Longtemps accompagné de la sulfureuse réputation de film le plus insoutenable de l’Histoire du cinéma (depuis détrôné par les peu recommandables A Serbian Film ou Philisophy of a Knife), le long métrage de Ruggero Deodato a particulièrement fait scandale suite à des rumeurs le qualifiant de « snuff movie » (images de tortures et autres sévices réels), et insinuant que les acteurs avaient réellement été dépecés et dévorés vivants !
Si le réalisme extrême des images, couplé à des effets spéciaux d’une grande qualité, reste aujourd’hui proprement sidérant, on sait désormais que « seuls » quelques animaux furent effectivement tués devant la caméra. En construisant son film en grande partie autour du visionnage des bandes retrouvées de la première équipe disparue (un appétissant banquet de chair humaine, de femmes empalées et de bébés enterrés vivants), le réalisateur en a fait un digne ancêtre des found footages.
C’est arrivé près de chez vous, de Remy Belvaux et André Bonzel (1992)
Le premier long métrage désormais culte de Rémy Belvaux, qui a révélé Benoit Poelvoorde, était à l’origine son film de fin d’études à l’INSASS, l’école de cinéma bruxelloise. Conçu comme une parodie des émissions de télévision « proches du réel » type Strip-tease, il met en scène une petite équipe de journalistes rivée aux bottes de Ben (Poelvoorde), un tueur à gage philosophe et poète à se heures perdues, dont les victimes sont le plus souvent de petites gens sans défense.
Fascinés par le caractère flamboyant et fantasque du tueur, le journaliste et ses acolytes se laissent peu à peu envoûter par son charme, jusqu’à participer activement aux étapes de son périple sanglant. En travaillant sur le malaise du spectateur via un processus d’identification savamment orchestré, et en questionnant les limites de l’amoralité, C’est arrivé près de chez vous déploie une réflexion grinçante sur le voyeurisme et la violence des images.
Le Projet Blair Witch, de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez (1999)
Des étudiants en cinéma mystérieusement disparus au cours d’un tournage dans la forêt, des rushes témoignant d’une chasse aux sorcières qui se retourne contre ses protagonistes, d’étranges mobiles dans les arbres, des larmes et des cris de terreur, et puis le noir grouillant du grain vidéo de la caméra amateur… The Blair Witch Projet, annoncé au fil d’une promotion internet à la teneur alors inédite comme un authentique documentaire, avait rebattu les cartes du film d’horreur à petit budget en l’ouvrant aux voies du found footage.
Si son réalisateur a plus ou moins disparu des radars, le succès inattendu et colossal du film aura depuis fait des émules. Sa recette du succès aux airs de formule magique pour producteurs ambitieux (James Wan et Jason Blum en ont fait leurs choux gras) : budget minime, pas de tête d’affiche, un scénario simple aux effets de terreur primitifs et une campagne de promotion ultra-agressive, a depuis été déclinée ad nauseam. Alors que sa suite aux airs de remake frôlant la parodie arrive sur les écrans, on retiendra ce premier volet, rétrospectivement bien bavard et confus, pour la vague qu’il a enclenchée plus que pour ses qualités intrinsèques.
Redacted, de Brian de Palma (2007)
Un groupe de soldats américains monte la garde au point de contrôle irakien de Samarra. Hantés par la menace d’attentats suicides et usés par un conflit aux allures de sale guerre qui s’éternise, les hommes sont constamment sous pression, la boule au ventre et l’esprit ankylosé par l’épuisement. La routine de la guerre bascule dans l’horreur quand des soldats, au cours de la fouille d’une maison suspecte, violent une jeune fille et tue sa famille.
Envisagé par son réalisateur comme un prolongement de son film Outrages (1989), qui traitait sur le mode fictionnel d’un événement similaire durant la guerre du Vietnam, Redacted, inspiré de faits réels, est construit comme un faux documentaire. Entrechoquant les différents types d' »images pauvres » qui documentent les conflits contemporains (vidéos Youtube, journaux filmés des militaires, images issues de caméras de surveillances), De Palma construit un kaléidoscope aussi brillant que glaçant, dont le point de vue éclaté est à même de rendre compte de l’horreur de cette guerre d’Irak et de ses conséquences. Le found footage élevé au rang de procédé narratif brillant propre à montrer l’indicible.
(REC), de Jaume Balaguero et Paco Plaza (2007)
La journaliste Angela Vidal et son cadreur Pablo passent une nuit avec des pompiers de Barcelone dans le cadre de leur émission documentaire immersive « Pendant que vous dormez ». Suivant l’équipe dans un immeuble suite à un appel de détresse, ils se retrouvent placés en quarantaine, enfermés avec les habitants qu’un mystérieux virus transforme en créatures assoiffées de sang. Le brave cameraman ne cessera jamais de filmer, emmenant le spectateur jusqu’aux tréfonds de l’horreur.
Avec sa mise en scène hyper-nerveuse et ses effets de réalisme, (REC) prouve que l’horreur a parfaitement absorbé les codes esthétiques et narratifs du found footage, tout en renonçant en partie aux efforts de crédibilité : un pacte est passé avec le spectateur, qui n’est plus dupe, mais accepte d’entrer dans cette course poursuite zombiesque sans se demander pourquoi personne ne coupe la caméra.
Paranormal Activity, de Oren Peli (2009)
Pensant que leur maison est hantée par un esprit démoniaque, Micah et Katie installent une surveillance vidéo pendant leur sommeil, tout en menant le jour des recherches sur internet. De la nuit du 18 septembre 2006 à celle du 8 octobre, les événement paranormaux vont s’enchaîner dans une escalade vers l’horreur à l’issue tragique.
Tourné en quinze jours pour un budget ridicule de 15 000 dollars dans la maison du réalisateur et avec des comédiens inconnus, Paranormal Activity fait figure de premier véritable hit pour son producteur Jason Blum (Blumhouse Productions), en engrangeant près de 2 million de dollars de recettes dans le monde. Vendu comme une « expérience » au fil de bande-annonces davantage centrées sur les réactions d’effroi des spectateurs du film que sur son contenu, le long métrage renoue avec une forme de grammaire originelle de l’horreur, délaissant la surenchère et le gore pour un minimalisme jouant sur le détail, la suggestion et le hors champ.
Cloverfield, de Matt Reeves (2008)
Un groupe de jeunes gens fête avec allégresse le départ de l’un des leurs pour le japon, quand une violente secousse ébranle leur immeuble. Intrigués, ils sortent dans la rue au moment où la tête de la Statue de la Liberté s’y écrase… Un immense monstre aux allures de sauterelle mutante titanesque est en train de ravager la ville, écrasant les militaires et leur armement de pointe comme des mouches. Auréolé du secret le plus total quant à son scénario, ainsi qu’aux origines et à l’apparence de l’antagoniste, Cloverfield, produit par J.J. Abrams et réalisé par son ami d’enfance Matt Reeves, joue habilement sur le mystère et la désorientation du spectateur par une belle réinvention des codes du film de monstres.
Premier croisement entre le found footage et le film de Kaijus (ces monstres gigantesques capables de ravager des villes entières d’un revers de patte issus de la culturelle populaire japonaise, dont Godzilla est l’avatar le plus célèbre), Cloverfield allie l’hyper-réalisme des fausses-vraies images à l’ampleur opératique du blockbuster. Orchestrant de pures séquences de terreur (dont une course-poursuite dans les tunnels du métro) et des visions de destruction massive en plein cœur de New York, le film rejoue sous le prisme du fantastique les images qui ont circulé en boucle sur les écrans du monde entier après les attentats du 11 septembre, raccordant ainsi le récit de monstre à l’imaginaire collectif d’une nation toujours meurtrie.
The Troll Hunter, de André Overdal (2010)
Trois étudiants norvégiens partent en forêt pour réaliser un documentaire sur le braconnage des ours. Emboîtant le pas d’un chasseur taciturne, ils comprennent que la créature est plus terrifiante que prévue, et que la proie n’est peut-être pas celle que l’on pense… Les jeunes gens, pourchassés à la fois par de terrifiantes créatures et par des agents du gouvernement qui aimeraient bien étouffer l’affaire (non non, ce ne sont que de très gros ours… oui oui, à trois têtes), vont devoir redoubler de courage et d’ingéniosité pour survivre.
Inspirée à la fois par la mythologie scandinave et le cinéma fantastique et d’horreur plus récent (Jurassic Park), cette chasse aux trolls alterne entre des séquences proprement gores et terrifiantes et des idées improbables au charme décalé : s’enduire de l’odeur de la bête car elle « détecte les chrétiens à l’odeur », utiliser des chèvres comme appât, ou se bricoler l’air de rien un lance-roquette maison.
https://youtu.be/TLEo7H9tqSM
Chronicle, de Josh Trank (2012)
Après être tombés dans un cratère, trois lycéens discrets de Seattle se retrouvent dotés de pouvoirs de télékinésies. Apprenant peu à peu à les maîtriser, ils en usent d’abord par jeu, puis s’engagent dans une escalade incontrôlable en voulant tester leurs limites. Réalisé par le jeune prodige Josh Trank, dont le talent sera écrasé par la production chaotique du reboot des 4 Fantastiques, Chronicle, doté d’effets spéciaux proprement impressionnants, marque l’incursion du found footage dans le film de super-héros.
Mais c’est ici son versant sombre qui est exploré, le pouvoir illimité révélant le côté obscur des personnages et les menant vers une issue tragique. Réflexion sur la portée sociale du pouvoir (ou métaphore des ravages de la drogue pour certains), cette rencontre entre le blockbuster et le teen movie à la mise en scène hyper-réaliste fonctionne comme une tragédie, un récit d’ascension et de chute hanté par le malaise adolescent.
The Visit, de M Night Shyamalan (2015)
M. Night Shyamalan, l’un des réalisateurs les plus inventifs des années 2000, semblait définitivement perdu après les échecs successifs de Phénomènes, Le Dernier maître de l’air et After Earth. C’était sans compter sur l’astucieux producteur Jason blum, qui lui a proposé une cure de jouvence à base de l’un de ces films d’horreur à petit budget et en found footage dont il a le secret. Tyler, 13 ans et rappeur amateur, et sa sœur Rebecca, 15 ans et apprentie cinéaste, rendent visite à leur grands-parents qu’il n’ont jamais rencontrés à cause d’une violente dispute entre eux et leur mère. Rebecca décide de faire de cette rencontre le sujet d’un film documentaire. La semaine dans la ferme familiale en Pennsylvanie va se révéler cauchemardesque, et les gentils grands-parents de vilains croque-mitaines.
Les faibles coûts de production (5 million) de ce petit bijou d’horreur et d’humour noir ont permis au cinéaste de bénéficier d’une grand liberté artistique sur le projet, et de relancer sa carrière tout en revitalisant le genre du found footage de l’intérieur. La réussite du film, due en grande partie à un scénario pour une fois original, tient également sur une idée brillante de narration et de mise en scène : en confiant la gestion de la caméra et donc du point de vue à une apprentie cinéaste, Shyamalan se dédouble, et trouve une parade pour nous offrir enfin un found footage d’horreur à la mise en scène inventive.