Longtemps considéré comme ringard, le vélo d’intérieur s’est vu élevé au rang d’activité ultra-prisée grâce aux Américains de SoulCycle. En France, le concept est en train de conquérir la capitale. Enquête sur une tendance rayonnante.
« Nous sommes la source ensemble, connectés par la même passion » ; « Amplifions cette énergie. Créons l’étincelle. Rayonnez ». Un vocabulaire quasi spirituel, digne d’un gourou du développement personnel venu d’Outre-Atlantique. Pourtant, ces punchlines sont inscrites sur les vitres extérieures d’un studio de vélo d’intérieur.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Nous sommes devant l’un des deux studios parisiens de Dynamo Cycling, salle de sport d’une nouvelle ère qui fait sensation dans la capitale depuis son ouverture l’année passée.
Engin pas très sexy dans l’inconscient collectif, le vélo s’est transformé en indoor cycling, concept ultra tendance. Pour preuve, le clip (et la performance aux VMA) Side By Side, de Ariana Grande et Nicki Minaj fin aout fait un clin d’oeil à Soul Cycle, le concept d’indoor Cycling dont Dynamo s’inspire directement.
D’ailleurs, A New-York, les réservations pour une place à un cours de SoulCycle sont sold-out dans les deux minutes suivant l’ouverture des ventes. « Aux US, t’as des assistantes qui sont chargées de booker le vélo. En France, on a pas encore cette folie, mais le site a planté plusieurs fois le lundi midi, heure des réservations », nous assure Karima, chargée des relations presse de Dynamo. Et il n’est pas rare que deux filles se disputent un vélo.
Nous nous sommes aventurés dans cet antre du cool pour en savoir plus. La première séance, qu’il faut, comme celles qui suivront, réserver sur internet, est offerte, tout comme la bouteille d’eau, en guise de cadeau de bienvenue. A moins de faire partie de quelques heureux élus, il faudra s’acquitter de trente euros par séance les fois suivantes.
Le cours a lieu dans une salle plongée dans l’obscurité, tout juste éclairée par la lueur de trois bougies. Une quarantaine de vélos pointent vers l’estrade où trône la star du lieu : le coach ! Dynamo en compte sept, ce sonteux qui font rayonner la réputation de la start-up. Venant d’univers variés pour toucher un public large (Yoga, danse, crossfit, MMA, BMX, boxe, et même cinéma, pour le coach Jérémie Laheurte, acteur déjà-vu dans La Vie d’Adèle), chacun d’entre eux fidélise une communauté d’adeptes séduits autant par leur énergie personnelle que leur univers musical.
C’est parti pour 45 minutes de pédalage intensif, couplé de mouvements tels que des pompes, des levés d’haltères, et des étirements pour clore la séance. La voix de la coach, Clotilde, laquelle est aussi prof de Yoga, est à la fois hypnotique et entrainante. Elle nous susurre de créer « une bulle d’énergie » autour de nous, nous invite au lâcher-prise, à nous abandonner dans l’instant présent.
L’ère du sportif multi-tache
Pour le sociologue du sport Sébastien Stummp, le succès du concept s’explique par un climat dans lequel une salle de sport doit continuellement innover pour ne pas être dépassée :
« Les structures de remise en forme évoluent dans un univers hyper-concurrentiel, elles doivent constamment s’adapter au marché. Et elles doivent se présenter comme étant branchées. Pour cela, elles vont créer de la différence là où il y en a pas, tout en se démarquant des activités populaires plus classiques. Et cela passe par l’hybridation »
Le chercheur fait un parallèle avec les salles de gymnastique :
Elles existent depuis le XIXe siècle, mais dès les années 80, elles ont essayé de s’ancrer dans la modernité en créant des activités hybrides (step, body pump, body attack, etc). L’aquabiking participe de la même logique. Remarquez d’ailleurs que les consonances anglaises ajoutent beaucoup à cet effet innovant.
Toujours selon Sébastien Stummp, cette recherche d’un sport hybride est le reflet d’une époque : celle de l’individu multi-tâche, composite et morcelé. Dans une société où les jeunes urbains diplômés tendent de plus en plus à cumuler plusieurs jobs en même temps (on les surnomme les slashers), il n’est pas étonnant que ces mêmes personnes soient attirées par des activités sportives leur permettant de danser, pédaler, boxer, se muscler, respirer ou s’étirer au même instant et au même endroit.
Une recherche d’intensité partagée
Malheureusement, l’injonction sociale à engranger toujours plus de compétences peut être source de pression pour l’individu. Un point pervers que l’Indoor Cycling nouvelle génération parvient à gommer en apportant de la convivialité et du fun à ses cours. C’est bien cela qui a séduit Clothilde :
« Moi qui suis assez timide, j’avais du mal à aller dans une salle de sport classique. Mais le fait qu’à Dynamo, on est dans le noir, ça permet d’éviter de se comparer aux autres, et ça aide au lâcher prise, t’es dans ta bulle. On est ensemble dans la même énergie, on ne regarde pas comment les autres avancent. Personne ne se juge. «
« On n’est pas dans la compétition, on est portés par la musique. C’est un moment à soi, et un exutoire. », renchérit Véronique, directrice média de 47 ans, elle aussi désireuse de s’éloigner du culte de la performance si cher monde contemporain.
Le monde du travail moderne valorisant l’individualisme et l’autonomie, la concurrence entre les individus règne, faisant naitre un sentiment de solitude n’appelant qu’à être comblé. Sébastien Stummp pense que la pratique de l’indoor-cycling peut participer à compenser ce vide en faisant vivre des shoots communautaires rafraîchissants, tout en étant adapté au rythme soutenu de la vie urbaine (les séances de 45 minutes permettent de booker une session à la pause déjeuner ou entre deux rendez-vous, par exemple) :
« L’indoor cycling crée une sorte de sentiment de communion éphémère qui fait sens pour le pratiquant, car il y trouve une notion de plaisir et d’expérience intense partagé. Sans pour autant créer des liens durables. Il y a un paradoxe, car le vélo c’est plutôt une souffrance solitaire, et là, cette logique est minimisée par l’impact du groupe. »
Aussi, avec les slogans, les mantras (« je rayonne », « nous sommes la source ») les produits dérivés (débardeurs, pantalons portant le logo de la salle), se tisse un sentiment d’appartenance « qui fait oublier l’objet marchant qu’est la salle de sport », souligne le sociologue.
Et si l’aspect ascétique du sport (le fameux « il faut souffrir pour être beau/musclé/en forme) n’est pas évacué, il est au moins amplement dilué, sinon oublié. Une réflexion que confirme Sliman, coach Chez Dynamo issu de l’univers hip-hop et R&B, et qui se présente également comme un passionné de philosophie :
« Le cours fait travailler tout le corps, le gainage, le ventre, les pectoraux, les bras etc. Mais l’essentiel à la dynamo, c’est surtout d’aller plus loin, de faire en sorte que les gens se dépassent, de leur faire vivre une expérience. Il y a un moment donné où t’as envie d’abandonner, mais le groupe, la musique, l’obscurité font que tu te relèves et là, t’as un second souffle. En plus, t’as l’impression d’être en boite de nuit ! »
A lui seul, ce témoignage pourrait servir d’illustration à la thèse que défend le jeune philosophe Tristan Garcia dans son ouvrage La Vie intense. Une obsession moderne, ayant fait forte impression cette année. L’auteur y soutient que notre monde moderne est caractérisé par la recherche quasi-religieuse d’intensité (liée au dépassement et à la pleine expression de soi) dans tous les domaines de la vie, du travail au sport en passant par les relations amoureuses et les loisirs. Fait amusant, l’intellectuel démontre que cette fascination pour l’intensité a historiquement démarré avec l’invention de l’électricité. Or, avant d’être une salle de sport branchée, une dynamo désigne une machine produisant… de l’électricité !
{"type":"Banniere-Basse"}