Dans un essai revigorant, “Les Vertus de l’échec”, Charles Pépin nous rassure en soulignant que l’échec est toujours un bien dans l’existence ; c’est à travers son épreuve que nous nous accomplissons pleinement.
Les “losers” nous fascinent, qu’ils soient “beautiful” ou vraiment moches. S’ils nous touchent, c’est que chacun d’entre nous reconnaît une part de soi en eux, comme si l’horizon de la “loose” nous était promis, immanquablement. Nous redoutons tous l’échec autant que nous nous en protégeons le plus possible, dans la mesure de nos moyens. Pourtant, et au-delà du vernis romantique que nous accordons à ces losers qui peuplent l’histoire de nos héros préférés, nous devrions nous calmer avec l’anxiété générée par l’idée de l’échec.
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Comme le souligne Charles Pépin dans son essai revigorant, Les Vertus de l’échec, “nos échecs sont des butins, et parfois même de véritables trésors”. Mais pour en mesurer le prix, déjà faut-il apprendre à en apprécier l’expérience, à en goûter l’amertume. Car, c’est de cette amertume que surgit forcément le sel de la vie, voire la joie, dont Clément Rosset, auteur fétiche de Pépin, nomme “la force majeure”.
« C’est parce qu’ils ont échoué qu’ils ont réussi”
Goûter l’amertume de l’échec, c’est ce à quoi s’attelle l’écrivain, féru de son savoir philosophique, qu’il aime faire partager à ses publics, en partant d’un constat pragmatique : tous ceux qui ont réussi leur vie, y ont accompli leur chemin – dans la création, l’art, le sport, la politique, l’amour, la réflexion… -, ont d’abord connu l’échec. “Mieux : c’est parce qu’ils ont échoué qu’ils ont réussi“. Pépin précise :
“Sans cette résistance du réel, sans cette adversité, sans toutes les occasions de réfléchir ou de rebondir que leurs ratés leur ont offertes, ils n’auraient pu s’accomplir comme ils l’ont fait”.
On devine dans les mots nerveux et habités de Charles Pépin la sagesse d’un auteur qui sait secrètement de quoi il parle, par-delà son savoir. L’expérience nourrissant l’écriture, il n’est pas exclu de se dire que ce Charles a dû lui aussi connaître quelques pépins dans son existence.
Pour autant, l’auteur laisse hors-champ ses propres déboires pour ne s’attacher qu’à ceux traversés par des personnalités publiques, philosophes mais aussi sportifs, dont le cadre de vie semble constituer un paradigme éclairant pour saisir les vertus de l’échec. Car Pépin souligne bien qu’il n’y a pas une vertu de l’échec, “mais plusieurs”.
Les différentes sortes d’échecs
L’auteur dresse ainsi une sorte de typologie des échecs, à partir desquels nous serions prêts à progresser : comme s’il était possible de tirer quelques leçons à la fois pratiques et morales à partir de chacun d’entre eux. Même à partir d’un grand désarroi, d’un trou noir, d’une blessure béante. D’un chagrin d’amour.
“Il y a les échecs qui induisent une insistance de la volonté, et ceux qui en permettent le relâchement ; les échecs qui nous donnent la force de persévérer dans la même voie, et ceux qui nous donnent l’élan pour en changer ; il y a les échecs qui nous rendent plus combattifs, ceux qui nous rendent plus sages, et puis il y a ceux qui nous rendent simplement disponibles pour autre chose”, écrit Pépin, le bien-nommé.
Notant qu’aucun ouvrage majeur de philosophie n’existe sur la notion d’échec, même si ses effets traversent en creux nombre d’entre eux, Pépin s’amuse à cartographier les diverses traditions de pensée confrontées à cette expérience de la défaite personnelle. S’il ne prétend pas pour autant réaliser un pur traité hégélien sur la dialectique de l’échec, ni un dialogue platonicien sur la sagesse de l’échec, l’auteur joue à imaginer ce que tous les grands philosophes auraient pu en dire, et surtout ce qu’on peut, à partir de leurs visions, appliquer concrètement au cœur de cette épreuve.
“Dans tout acte manqué, il y a un discours réussi”
Pépin oscille ainsi entre divers modes de lecture : une lecture épistémologique, obligeant à savoir reconnaître son erreur initiale et trouver la force de la rectifier ; une lecture dialectique, poussant à comprendre que la réussite est toujours une succession d’échecs et de succès, jamais un simple enchaînement de succès et que sans force de négation, il ne peut y avoir de force d’affirmation ; une lecture stoïcienne, prenant au sérieux l’expérience du réel ; une lecture psychanalytique, rappelant que “dans tout acte manqué, il y a un discours réussi”, comme le disait Jacques Lacan ; une lecture existentialiste, ouvrant à la nécessité de se réinventer…
“Croire que l’échec peut nous aider à rebondir, à nous réorienter, à nous réinventer, c’est prendre le pari d’une philosophie du devenir” souligne Charles Pépin, convaincu que l’échec ne rend pas forcément plus sage, plus humble ou plus fort, “mais tout simplement disponible pour autre chose”. Rappelant la prédominance de deux conceptions essentielles de la sagesse de l’échec, fondées l’une sur une logique du devenir, l’autre sur une logique de l’être, l’auteur invite à en forger une autre, en déplaçant l’enjeu et surmontant l’opposition. Cette voie, vaguement inspirée du geste nietzschéen, propose “d’essayer de se réinventer le plus possible, mais dans la fidélité à son désir”.
“Ne te laisse pas enfermer par tes échecs”
“Utiliser les échecs, les bifurcations et les rebonds pour tenter de se rapprocher de son axe, de ce qui est, pour soi, l’essentiel ; c’est exactement le sens du ‘deviens ce que tu es’ nietzschéen”, écrit Pépin. “Deviens” signifie au fond : “ne te laisse pas enfermer par tes échecs, fais-en des opportunités”. Et “Ce que tu es” : “sans trahir ce qui compte vraiment pour toi, le désir qui te rend singulier“. Il n’est pas anodin qu’un autre philosophe, Dorian Astor, publie prochainement un essai spécifiquement centré sur ce “deviens ce que tu es” de Nietzsche, comme une sorte de mantra contemporain.
Errant à travers les textes philosophiques, mais aussi à travers les épreuves des grands champions, du tennis (Nadal) au basket (Jordan) qui ont tous appris à rebondir après les premiers échecs de leur carrière, Charles Pépin regrette l’incapacité de l’école française à ne pas apprendre aux élèves la culture de l’échec, c’est à dire l’audace de se tromper, de tenter une réflexion dégagée de le menace de la sanction : “La peur d’échouer à l’école est le principal frein de notre jeunesse”, estime-t-il.
« Se souvenir que l’échec sans audace fait mal”
Tout savoir doit favoriser “l’instant de l’art sur l’instinct de peur“ ; c’est une grande idée, à laquelle les éducateurs devraient collectivement réfléchir, même s’il est vrai qu’un mouvement conservateur influent au sein du système éducatif empêche la possibilité de s’y lancer.
La méthode qu’il suggère pour apprendre à oser repose sur quelques idées simples : “accroître sa compétence, admirer l’audace des autres, n’être pas trop perfectionniste et se souvenir que l’échec sans audace fait mal”.
Comme Pépin sait que nous avons beaucoup à apprendre des joueurs de tennis – apprendre de leur vie, plus encore qu’apprendre de leurs coups de raquette –, Stanislas Wawrinka, récent vainqueur de l’US Open, nous éclaire sur les vertus de l’échec. Sur son bras en acier, le joueur a tatoué une citation de Samuel Beckett, exhumée de son roman Cap au pire : “Déjà essayé, déjà échoué, peu importe, essaie encore, échoue encore, échoue mieux.” Comme si le tennisman avait compris la vertu de ce que Pépin appelle “la joie du combattant” : “être joyeux, c’est toujours prendre acte du réel, savoir trouver en lui quelque chose à aimer.” L’échec porte vers autre chose, qui parfois a le goût de la victoire, sur soi-même plus encore que sur les autres.
Les Vertus de l’échec, par Charles Pépin (Allary éditions, 230 p, 19 euros)
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