Dans les restaurants, le pairing, est devenu une étape obligée, mais souvent coûteuse. Y a-t-il des règles ? Peut-on faire confiance aux sommeliers ?
Sur la carte des restaurants nouveau genre, de Copenhague à Paris en passant par New York ou Londres, le pairing – nouveau nom mondialisé de l’accord mets et vins – n’a plus de secret pour les foodies. Cette vieille tradition, qui consiste à proposer un choix de rouges, blancs et autres, censés accompagner au mieux la nourriture, se trouve aujourd’hui revisitée à marche forcée.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le programme d’une soirée type ? Un plat = un verre. Et comme la tendance est à la multiplication des assiettes, cela aide à repartir chez soi la tête scintillante et le porte-monnaie moins lourd. Car le prix du vin par petites touches monte au plafond.
La vérité comptable réduit l’effet poétique de l’ivresse
Ancien chef sommelier du restaurant parisien trois étoiles l’Astrance (réputé pour une relative maîtrise des additions par rapport à certains concurrents), Alexandre Jean dresse le tableau : “Dans une grande ville, il faut payer les charges, les salaires, et ce n’est pas simple. Là où un restaurant fait des bénéfices, c’est sur le vin, moins sur la matière première et les produits.”
“Une bouteille est revendue entre trois et cinq fois son prix d’achat, et c’est pire dans les palaces qui montent parfois jusqu’à huit fois, sans aucune raison valable. Sur les verres, le bénéfice est encore plus évident pour le restaurateur.”
La vérité comptable réduit potentiellement l’effet poétique de l’ivresse, même si ladite poésie existe, pour peu qu’un sommelier nous tienne la main avec un minimum de bienveillance. “Sinon, prévient le critique culinaire François Simon, deux auteurs de notre repas, le chef et le sommelier, se succèdent pour prendre le client en otage. Se joue alors un infantilisme sans nom. Imposer sa loi, son goût, sa rythmique, en plus de son espace, quelle horreur…”
Ne pas contenter des fameuses règles des couleurs
Avec son restaurant itinérant Paris Pop Up (qui fermera à la fin de ce mois ses quartiers d’été à l’hôtel Nord Pinus à Arles), Laura Vidal tente de ne pas se figer. “Je pense que le client doit boire ce qu’il a envie de boire, même si ma sélection oriente les choix. Si on entame un dialogue, je peux lui faire découvrir un goût nouveau.”
“Mais si je sens qu’une personne a envie d’une bonne bouteille, même si elle n’ira pas avec les plats, ce n’est pas très grave. J’évite de faire la leçon, sauf sur le vin rouge avec le fromage. Là-dessus, les gens sont obsédés, alors que la plupart du temps c’est une cata !”
Les fameuses règles traditionnellement “immuables” des couleurs – un blanc avec du poisson blanc, du rouge avec une viande de la même couleur… – volent heureusement en éclats. “Le sauternes avec du foie gras ? Et pourquoi pas du beurre sur les tartines ?”, s’amuse François Simon, qui sait probablement que la fin des modes trop tristes est largement due à certains sommeliers capables d’établir un dialogue nouveau avec les cuisiniers.
Il existe autant de méthodes que de sommeliers
“Avec Pascal Barbot à l’Astrance, on discutait beaucoup, raconte Alexandre Jean. Il sortait par exemple un ris de veau, je goûtais, je parlais avec lui de la sauce et parfois, je lui demandais un peu plus de fumé, d’amertume…” Ancienne du restaurant Frenchie à Paris, Laura Vidal a connu le même type de relation avec Gregory Marchand : “Je me souviens avoir suggéré une fois au chef de mettre un peu de vin jaune au lieu d’un rouge classique dans une sauce, ce qui m’a permis de servir en accompagnement un savagnin du Jura minéral et salin.”
“Le plus important, pour réfléchir aux accords, ce sont les sauces et les accompagnements, pas forcément le produit principal. Quand on me dit ‘Je ne vais pas boire du blanc avec du cochon’, je réponds que cela peut quand même avoir du sens, s’il y a du fenouil et du maïs dans le plat…”
Il existe autant de méthodes que de sommeliers pour imaginer la dynamique du liquide et du solide. Sébastien Chatillon, star du Chateaubriand, se distingue en ne goûtant jamais les plats avant d’élaborer sa sélection chaque soir, préférant discuter avec le chef Inaki Aizpitarte et se fier à sa “mémoire des goûts”. Dans ce cas comme dans certains autres, le jeu en vaut la chandelle.
Les conseils de François Simon
“Le pairing est un défi ludique pour le sommelier et finalement assez nouveau pour le client qui goûte davantage de vin en plus petite quantité, note Alexandre Jean. Accompagner un menu surprise avec des vins surprises, c’est grisant, surtout si on n’essaie pas d’en mettre plein la vue avec des étiquettes. Un vin peu onéreux mais bon est difficile à trouver, la récompense n’en est que plus belle. Le but, c’est que 1 (le vin) + 1 (la nourriture) ne fassent pas deux, mais trois, quatre, cinq, six, par magie.”
Au-dessus de la mêlée, François Simon prodigue quelques conseils. “Négliger le vin est bien sûr une erreur. Si une carte des vins est intéressante dans un restaurant, je choisis mon menu en fonction. Donc, j’ai aussi besoin du sommelier. Mais je refuse de suivre la théorie de l’accord parfait.”
“Je veux un vin qui dévaste tout, qui marche sur la tête du plat, qui n’ait aucun respect. Faudrait-il une harmonie des choses ? Non. Le vin a sa fierté, l’aliment a sa fierté, c’est formidable quand il y a un clash. Finalement, mes choix dépendent de l’humeur et de la saison, de la personne avec qui je suis. Si elle veut boire du blanc sur un agneau, alors tant pis, ou tant mieux, je la suivrai.”
{"type":"Banniere-Basse"}