Il est mort le 8 septembre à 78 ans suite à des problèmes cardiaques. Et laisse derrière lui un immense héritage.
Le 8 septembre dernier s’éteignait à Miami Prince Buster, l’une des figures primordiales de la musique jamaïcaine et l’un des grands innovateurs de son temps dont l’influence a été déterminante jusque dans la pop anglaise. Agé de 78 ans, Buster, de son vrai nom Cecil Bustamante Campbell, connaissait des problèmes cardiaques depuis une dizaine d’années.
En 2009, une attaque l’avait laissé paralysé. Triste ironie pour celui qui fut l’artisan de l’une des danses parmi les plus endiablées au monde, le ska, premier style musical de l’ère moderne à naître sur cette île des Caraïbes où lui même avait vu le jour en 1938. Moins connu que Bob Marley, Peter Tosh ou Jimmy Cliff, son empreinte laissée sur la culture de son pays, et au delà, n’en est pas moins profonde, ni moins décisive. En cela sa disparition ne peut qu’inspirer hommages et remise en perspective.
« Ma musique est une protestation »
Dans une préface rédigée en 2000 pour Bass Culture, copieux ouvrage anthologique sur l’histoire de la musique jamaïquaine signé Lloyd Bradley, Buster commençait par ces mots sans concessions :
« Ma musique est une protestation, protestation contre l’esclavage, le préjudice de classe, le racisme, les inégalités, les discriminations économiques, l’absence d’opportunités et l’injustice dont nous avons tant souffert sous le joug colonial en Jamaïque. »
Le ton combatif n’avait rien de factice quand bien même celui qui en faisait alors usage se trouvait à l’origine de l’un des genres musicaux les plus festifs que l’on puisse imaginer. Caractéristique des mœurs en vigueur dans les quartiers déshérités de l’île entre la fin des années 50 et le début de la décennie suivante, entre colonialisme agonisant et indépendance balbutiante, son parcours réunit en effet deux phénomènes cruciaux et antagonistes de la culture du ghetto : la baston et la fête.
Défendre coûte que coûte son indépendance
Ce surnom de Buster lui venait de sa capacité à rendre les coups lors des rixes qui sont le quotidien du downtown Kingston. Quant à celui de Prince, c’est le titre qu’il se décernera lorsqu’il se lancera à 18 ans dans une brève carrière de boxeur, catégorie poids moyen. Clement « Coxsone » Dodd, fondateur et producteur du label Studio One, l’engage alors comme garde du corps lors des soirées qu’il anime avec son sound system fréquemment ponctuées de bagarres où s’affrontent les bandes de rudies au service de D.J.’s concurrents.
De cette époque, Buster conservera des cicatrices. Mais aussi le désir de prendre et de défendre coûte que coûte son indépendance. A la fin des années 50, il fonde son propre Sound System baptisé Voice of The People, puis son label. La musique diffusée à cette époque en Jamaïque est exclusivement américaine. Un état de fait que Buster conteste en produisant en 1960 le premier tube de l’histoire de la musique jamaïquaine O Carolina enregistré par les Folkes Brothers et accompagnés par Count Ossie, figure tutélaire de la religion rasta et maître des percussions burrus, l’une des survivances du passé africain de la population insulaire.
Du point de vue culturel, ce simple élément est proprement révolutionnaire. Il constitue le premier pas qui va aboutir à l’émergence d’une musique jamaïquaine à proprement dite dont l’expression inaugurale sera le ska et l’apothéose le reggae.
Plusieurs centaines de chansons
En tant que producteur et/ou chanteur, Buster sera à l’origine d’un répertoire riche de plusieurs centaines de chansons. Citons le très machiste The Ten Commandements of Love, le désopilant Juge Dread et encore Ghost Dance, Enjoy Yourself, Al Capone ou Madness (is Gladness), ces deux derniers devenant des succès en Grande Bretagne via les soirées mods.
Au milieu des années 60, avec Take It Easy Buster se trouve encore à la pointe du nouveau style en vogue, le rocksteady, rythmiquement plus lent que le ska, dont la sensualité submerge l’île. Il est alors l’un des entrepreneurs les plus en vue et les plus fortunés du monde musical insulaire, propriétaire de plusieurs magasins de disques, exploitant quantité de juke-boxes dans les bars, et poursuivant sur sa lancée de producteur vedette en produisant de nouveaux talents dont Dennis Brown, John Holt et Alton Ellis.
Converti à l’islam après sa rencontre avec son idole Mohammed Ali, il deviendra nettement moins actif lorsque le reggae, musique véhiculant le message rastafarien, fait son apparition à la fin des années 60. Son étoile ne se remettant à briller que dix ans plus tard à la faveur du revival ska qui s’empare de la scène pop anglaise sous l’impulsion de groupes tel Madness, un nom emprunté à la chanson de Buster.
Le premier single du groupe de Suggs & co s’intitule d’ailleurs, The Prince. Autres fer de lance du nouveau ska, The Specials reprennent quant à eux Al Capone, rebaptisé Gangsters, ainsi qu’Enjoy Yourself, hymne carpe diem s’il en fut. Le nom de Prince Buster devient alors pour la scène two tones l’équivalent d’un Chuck Berry ou d’un Bo Diddley pour la génération des Beatles et des Stones.
Mettre K.O. autant l’adversaire que l’adversité
Dans sa préface de Bass Culture, loin de vouloir afficher des lauriers que lui avaient permit de gagner ses nombreux succès, Buster évoquait volontiers l’élection en 1972 d’un premier !ministre socialiste en Jamaïque, Michael Manley dont il avait personnellement soutenu la candidature. En revanche, bien qu’il compte parmi les plus endurants pourvoyeurs de musique à danser de toute l’histoire de l’île, il prendra des distances rédhibitoires avec le dance hall lorsque celui-ci se met à dominer la scène musicale de l’île à partir des années 80.
Auteur des notes de pochette d’une compilation regroupant ses plus grands succès, il conclut celles ci par un cinglant : « They have used guns to spoil the fun, force tasteless and meaningless music upon the land ». Pour l’auteur de Madness, faire la fête ne signifiait pas se comporter comme un écervelé. Pour l’ancien boxeur Prince Buster une carrière d’artiste, même dans le domaine du pur divertissement qui fut le sien, ne pouvait s’envisager que dans la perspective d’un combat pour le progrès social. Aussi chacune de ses chansons ayant été écrite dans un seul but, mettre K.O. autant l’adversaire que l’adversité, on peut dire que dans son genre Prince Buster restera à jamais invaincu.