Depuis la sortie de leur deuxième album « Haha » en 2015, les jumeaux Shears donnent une nouvelle impulsion à la culture punk. Rencontre avec les génies.
En 2011, Wyatt et Fletcher Shears, deux twins originaires d’Orange County en Californie, décident d’aller plus loin dans leur fusion en formant The Garden. À force de traîner dans les concerts de leur punk de père, batteur du groupe Shattered Faith, les jumeaux de 18 ans ont fini par prendre le pli. Seule différence, leur punk à eux, adouci à coups de hip-hop et de beats électroniques, s’adresse plus aux teenagers qu’aux cinquantenaires à crête. Aujourd’hui âgés de 23 ans, les deux frères au look androgyne n’aiment toujours pas les rangements et les genres. À tel point qu’ils ont fini par inventer le leur : le Vada Vada. Aucun rapport avec le mouvement Dada, qui est tout aussi animé par la contradiction des conventions. Entre deux défilés pour Saint Laurent, ils sortaient en 2015 leur deuxième album, Haha, sur le label Epitath. Un long format bordélique mais percutant, loin des balbutiements sonores de The Life And Times Of A Paperclip (2013). De passage à Paris, The Garden a retourné l’Espace B début septembre. On est à peine redescendus en température, mais on a tout de même eu le droit à un temps mort avec les deux terreurs histoire de parler punk, robes et école buissonnière.
Vous pensez que l’on peut toujours revendiquer un état d’esprit punk en 2016 ?
– Fletcher : Le punk en tant que manière créative de se rebeller n’est pas mort. Mais le genre musical qui a émergé à la fin des années 70, lui, l’est. Ma première approche du punk remonte à l’école primaire. Je voulais être rebelle, je remontais ma rue pour que les gens me voient, en portant des fringues merdiques.
– Wyatt : A cette époque, on s’habillait avec des costumes chelous pour se donner un air important. C’était même pas cool.Je pense que le punk, en tant que façon de penser est toujours présent. Surtout chez les rappeurs, ou chez les peintres, pas forcément en rock. Les gens essaient encore de jouer ce genre de musique. Ils appellent ça du punk, à tord. Ils ne font que reproduire ce qui se faisait il y a longtemps.
C’était d’abord une question d’attitude, avant la musique ?
Fletcher : Complètement. La musique est arrivée après. On a commencé à écouter des classiques punk comme Wasted Youth, TSOL ou Chaos UK parce qu’on a grandi avec notre père qui était dans le milieu depuis des années.
Photo TAYLOR BONNIN
À quel âge vous avez vous vu votre père jouer pour la première fois ?
Fletcher : On avait 10 ans. C’était la première fois qu’on allait à un show punk. C’était dans un jardin, avec une piscine vide dans laquelle les gens faisaient du skate. C’était énorme.
Entre votre premier album et le second, le son a beaucoup évolué, il y a plus de structure, plus d’instruments…
Wyatt : On ne veut pas faire de The Garden un projet de basse et de batterie. Mais en même temps, on ne va pas intégrer de nouveaux membres. Il y aura toujours de nouveaux éléments. On fait progresser le projet, on expérimente beaucoup.
https://www.youtube.com/watch?v=7U-NwIwsFwI
L’expérimentation est un élément important dans votre processus d’écriture ?
Fletcher : On est nous-mêmes en train de grandir, donc notre façon de penser évolue.
Wyatt : On ne veut pas être dans l’ avant-garde non plus. Ce n’est pas notre style. On aime aller au devant de la musique qu’on fait, mais on veut pas s’aventurer trop loin.
Vous avez beaucoup de liberté dans votre musique, vous n’avez pas peur que l’industrie musicale finisse par vous brider ?
Wyatt : À part si on signe un contrat sans faire exprès, ça n’arrivera jamais.
Fletcher : Surtout avec le label dans lequel on est. Il n’y a que des groupes de screamo, ou de punk des années 90.
C’est quoi, le Vada Vada ? Un lien avec le mouvement Dada ?
Fletcher : Pour être honnête je connais pas la définition du Dada, et je pense que lui non plus. (rires)
Wyatt : C’est un truc qu’on a inventé. Ça a évolué après le lycée, c’était notre manière d’avoir notre truc à nous. C’est une façon de penser, pour avoir le plus de liberté possible.
https://www.youtube.com/watch?v=35ylAOORzXk
Vous avez défilé pour la maison Yves Saint Laurent, comment avez-vous rencontré son directeur Hedi Slimane ?
Fletcher : On l’a rencontré en 2013. Quelqu’un qui travaille pour lui nous a vu jouer. On a eu quelques échanges de mails et on s’est retrouvés à être modèles pour lui pendant quelques saisons.
Wyatt : On a fait trois shows à Paris et une campagne.
Vous avez laissé la mode de côté depuis ?
Fletcher : On ne fait juste plus rien avec Saint Laurent, mais sinon on continue. On a fait une campagne pour Diesel récemment.
Wyatt : On en fait généralement pas trop la promotion mais c’est cool parce que ça aide à payer les factures.
Quand avez-vous commencé à jouer de la musique ? Et quand avez-vous réalisé que ça pouvait devenir professionnel ?
Fletcher : On avait une batterie dans la garage. On a commencé assez jeune, on s’en foutait un peu jusqu’au moment du déclic. Peut-être à 7 ans.
Wyatt : Mon père avait un ami dans la rue, qui jouait dans son groupe, il avait une basse et un ampli, je lui ai demandé si je pouvais l’emprunter, je sais pas pourquoi. C’était très drôle et ça l’est encore, je peux pas m’en passer.
Fletcher : Ça a pris longtemps avant qu’on se rende compte que ça pouvait devenir pro. Genre, l’année dernière. (rires)
Wyatt : En 2013 on a commencé à faire des choses, mais y avait pas business autour. Beaucoup de gens pensent qu’on a explosé d’un coup, grâce à la mode. C’est faux. On a énormément travaillé et on travaille toujours beaucoup, depuis quatre ans. Notre racine c’est la musique. Et c’est grâce à ça qu’on est ensuite devenus mannequins.
Comment se comportent deux jumeaux punk au lycée ?
Wyatt : On a été diplômé en 2012.
Fletcher : Et ça s’est arrêté là. (rires)
Wyatt : On devait aller dans un community college. Un endroit prévu pour les gens qui n’ont soit pas assez d’argent, soit pas assez de bonnes notes. On avait aucun des deux. Après un semestre, on a arrêté.
Fletcher : Chaque jour on trouvait un moyen de quitter la classe. On nous demandait de sortir dix minutes pour une pause, et de revenir, mais on revenait jamais. (rires)
Vous jouez beaucoup sur votre côté androgyne. C’est un truc que vous avez toujours eu ?
Fletcher : En 2012 on a fait cette vidéo pour I’m a Woman. Pour la première fois j’ai commencé à faire des expériences avec les habits. Mais je porte plus vraiment de robes. Ça me donne plus la même sensation. Maintenant c’est même plus bizarre de voir quelqu’un porter une robe.
https://www.youtube.com/watch?v=VFIuZ3C7IJM
Vos clips sont très créatifs, c’est vous qui les imaginez ?
Wyatt : Pour la plupart, on les fait entièrement nous-mêmes. On a fait appel à des réalisateurs seulement pour Egg, Gift, et All Smiles Over Here.
Vous avez chacun votre projet solo, Enjoy et Puzzle, tous les deux complètement différents de The Garden, plus rêveurs et romantiques…
Wyatt : Ça nous permet de composer quand on a du temps libre, et qu’on peut librement penser à autre chose que The Garden.
Fletcher : Il a commencé Enjoy en 2011. Plus tard en 2012 j’ai commencé Puzzle. C’est un autre monde presque. Un autre outil créatif pour s’exprimer. On peut se concentrer sur une partie différente de notre cerveau et de nos sentiments.
Quelle est votre plus grande différence?
Wyatt : Il aime voyager beaucoup plus que moi. Je pense que ma réalité est où ma maison se trouve, où ma vie est implantée. Si j’en suis trop loin pendant un moment, je perds un peu la notion de la réalité.
Flecther : J’adore voyager. Peu importe où.
Vous travaillez déjà sur un nouvel album ?
Wyatt : On a déjà dix demos de prêtes pour le prochain album.
Fletcher : Après la tournée, on va rentrer et écrire. On prévoit de rendre ça encore plus heavy. On a pas pensé Haha comme un album. Il n’y a pas de thème. C’est une compilation bordélique de sons. Pour ce nouvel album, ça va être complètement différent.
Propos recueillis par Morane Aubert