De plus en plus d’utilisateurs d’Instagram spécialisés dans la photographie de voyage se professionnalisent grâce aux opportunités offertes par la plateforme. Plongée dans les coulisses d’un job qui vend du rêve.
Paysages idylliques, road-trips, villes exotiques, et autres ballades sauvages, Instagram ne manque pas d’images qui vendent du rêve. Entre le dernier OOTD de blogueuse mode, les selfies de vos potes et les photos de café crème ou de burgers artistement mises en scène, il y a de fortes chances que votre fil d’actu Instagram compte nombre de clichés fantastiques de lacs de montagne américains, du désert de Bolivie, des falaises norvégiennes, ou encore de forêts de pins baignées dans la brume. Avec plus de 100 millions de publications marquées du hashtag #Travel (et ses centaines de variantes comme #Travelgram #InstaTravel, #neverstopexploring, etc) la photographie de voyage et d’aventure est une valeur sure sur le réseau social.
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Certains de leurs auteurs sont devenus sinon des stars (le franco-cambodgien Vutheara a dépassé le million d’abonnés), du moins des utilisateurs capables de fédérer d’importantes communautés. Début juin, une demi-douzaine de photographes français ont fondé French Folks, le premier collectif français d’instagrameurs voyage et aventure. La plupart cumulent des dizaines de milliers de followers. La plate-forme de partage de photographie leur a permis de se professionnaliser grâce aux opportunités commerciales se multipliant à eux à mesure que leur influence grandissait.
A l’instar des blogueuses mode et autres digital influencers spécialisés dans le lifestyle, la gastronomie, la décoration, la beauté ou le sport, les explorateurs 2.0 attirent de plus en plus de marques et d’entreprises désireuses de profiter de l’aura de leurs comptes.
Les acteurs du marché du voyage, comme les compagnies aériennes et les offices de tourisme, sont les premiers intéressés. Ces entreprises peuvent organiser des instatrips, équivalent des blogtrips sur Instagram, au cours desquels des instagrameurs sont invités aux frais d’une office de tourisme à visiter une destination en échange d’un nombre convenu de photos du lieu à publier sur leurs comptes personnels.
Le 5 juin dernier sur M6, le magazine Capital a suivi la blogueuse et instagrameuse Chloé, de La Penderie de Chloé, pour une émission consacrée aux astuces pour voyager gratuitement. Les journalistes dévoilaient comment les offices du tourisme travaillent avec les blogueurs. Mais le fait de mettre sur le même plan de simples bons plans avec le métier de blogueur a suscité l’ire de ces derniers – et de plusieurs de leurs fans – sur la twittosphère.
Une caricature éloignée de la réalité, quand on connait le quotidien des Instagrameurs professionnels. Entre la préparation du voyage, les partenaires à démarcher, les longues heures de shooting, de tri parmi les images et du minitieux travail d’editing, un instatrip n’est pas de tout repos. Adrien Leyronas, également membre du collectif, déplore:
« Le problème des réseaux sociaux, c’est que chacun d’entre nous ne montre seulement le meilleur de sa vie. A travers Instagram par exemple, les gens pensent que nous avons une vie de rêve parce que nous passons notre temps à voyager, mais ils ne perçoivent pas l’envers du décor. Il faut savoir qu’une journée de travail lors d’un voyage peut aller jusqu’a 22h par jour, pour pouvoir produire le plus de contenu possible. »
Otages des sponsors ?
On peut légitimement se questionner sur la liberté créative des photographes quand ils ont des comptes à rendre aux entreprises et offices dont dépendent souvent leurs voyages. Les membres de French Folks l’affirment tout net : ils ne sacrifieront jamais leur style pour plaire à un sponsor. D’ailleurs, ils déplorent la tendance fréquente des marques à ne pas étudier leur univers avant de leur proposer un partenariat, se basant uniquement sur le nombre de followers. Si vous avez une marque de mode et que vous proposez un contrat à un instagrameur spécialisé dans les paysages, vous avez de grandes chances de froisser ce dernier.
Du côté du service de communication de Brainsonic, qui a collaboré avec French Folks, Nicolas Garnier assure pourtant qu’il entend encourager la créativité des instagrameurs tout en leur permettant de continuer leur métier :
« Nous cherchons d’abord des personnes capables d’un comportement professionnel lorsqu’ils s’engagent avec des marques. Ensuite, au-delà du nombre de likes et de followers, nous cherchons des « univers », des jeunes qui ont une véritable passion pour le voyage. »
Un exemple de collaboration ? L’entreprise d’électronique offre aux instagrameurs des appareils photo avec lesquels ils relèvent le défi de capturer les clichés pour alimenter les réseaux sociaux sociaux de Microsoft.
Une esthétique « eye-candy »
Tous les membres de French Folks se déclarent photographes avant d’être instagrameurs. Bien que certains d’entre eux ont commencé la discipline via un Iphone, ils sont désormais équipés de matériel professionnel. Le réseau social sert de vitrine pour assurer de la visibilité à de nombreux photographes.
Le photographe Brice Portolano, spécialisé dans les voyages et le documentaire, a suivi un parcours classique avant de saisir l’opportunité que constitue Instagram. Il analyse le succès d’une photo sur la plateforme avec une métaphore gastronomique:
« Instagram est comme un immense magasin de bonbons. Le public réagit plus positivement à ce qui est catchy pour l’oeil. En ce moment, la mode est aux petits personnages dans de grands paysages, au milieu de la brume ou perchés sur des montagnes. C’est ce qui va permettre à l’utilisateur de s’évader le temps d’un double tap [Autrement dit, d’un like, NDLR]. Quand on scrolle sur Instagram, on recherche des élements visuels qui font plaisir, rapidement compréhensibles et facilement lisibles. C’est assez superficiel. »
Un consumérisme visuel qui explique selon lui pourquoi, lorsqu’il a souhaité produire davantage de contenus à message documentaire, ces derniers n’ont pas rencontré le succès escompté sur Instagram. Pour autant, il est loin d’accuser le réseau social de tous les maux :
« Certes, ça incite à la standardisation des codes visuels. Mais si c’était pas insta’, ça serait autre chose. Dans l’histoire de la photographie, que ce soit de voyage ou autre, il y a toujours eu des codes dominants. »
Pour autant, bien qu’elle reconnaisse qu’il y « des choses qui marchent et d’autres qui ne marchent pas » sur Instagram, Mary Quincy insiste sur l’importance d’avoir son propre style, son adn visuel identifiable afin de se démarquer. Et d’ajouter :
« Par exemple, je me distingue par mon usage de la saturation. J’aime ça et ça marche. En revanche, je serais incapable de faire des photos de mises en scènes avec des cafés. Et pourtant c’est à la mode ! »
La France, encore à la traine ?
Bien que les instagrameurs représentent une manne de visibilité pour les acteurs du tourisme, ces dernières ne réalisent pas toujours ce potentiel. Luc Lagasquie dit sa déception quand il a souhaité travailler avec l’office de tourisme de sa ville :
« Toujours la même réponse en France: pas de budget. La plupart des offres sont non rémunérées, hors nous apportons d’une part une production de contenu qualitatif et d’autre part une visibilité ciblée. Autre exemple, les personnes en charge de l’accueil de l’office du tourisme de Nancy ne savaient pas si leur ville utilisait un hashtag, c’est dommage car même sans avoir à collaborer, cela peut apporter une promotion parfois bien méritée. On aimerait leur faire comprendre qu’ils ratent quelque chose et c’est pour cette raison que nous avons, en partie, créé French Folks. »
Côté suisse, Vincent Riba, de l’office du tourisme de Verbier analyse l’impact de cette nouvelle forme de communication :
« En termes de followers, notre base d’abonnés a quadruplé depuis qu’on a commencé les instatrips il y a cinq mois. Donc oui, il y a un impact en ligne. Ensuite, il est difficile de mesurer si ça se traduit en augmentation du nombre de nuitées. »
Et de tempérer à propos du supposé retard des offices :
« Les offices de tourisme n’ont pas fini d’entamer le virage des réseaux sociaux. Certaines sont cantonnées à la communication via des canaux classiques et oublient les prescripteurs du web. Dire qu’elles n’ont pas compris le web n’est pas juste, mais elles ne l’ont pas encore bien intégré à leur stratégie. On est en présence de vieux réflexes des générations qui n’ont pas vu l’émergence des réseaux sociaux. »
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