Avec “Les Corvidés”, Laetitia Dosch et Jonathan Capdevielle se payent la tête de la performeuse espagnole Angélica Liddell dans un show délirant où ils jouent les vampires-critiques en présence d’un couple de vrais corbeaux.
La pièce de Jonathan Capdevielle et Laetitia Dosch s’appelle Les Corvidés. Normal donc que deux grands corbeaux noirs se tiennent l’avant scène. Comme on les dérange en entrant dans la salle, ils croassent méchamment dès qu’ils aperçoivent les premiers spectateurs. Installés sur des perchoirs, ils battent furieusement des ailes, nous jaugent de l’œil et du bec.
L’un s’appelle What et l’autre Whalter. On découvre vite qu’ils ont la langue bien pendue quand ils se prêtent génialement au jeu du play-back en direct. L’un se vante d’une apparition dans un clip avec Mylène Farmer, l’autre s’enorgueillit d’avoir été silhouette pour Alfred Hitchcock mais c’était il y a longtemps.
Nos deux volatiles en ont surtout marre d’incarner les mystères métaphoriques de la présence animale sur le plateau et saisissent au vol cette occasion pour démontrer leur talent de chauffeur de salle. Une opportunité pour eux de se questionner sur l’instrumentalisation dont sont victimes des poulpes, une carpe et une anguille dans le dernier spectacle d’Angélica Liddell Que ferai-je, moi, de cette épée ? (Approche de la loi et du problème de la beauté) qui se donne à deux pas de là sur la scène du Cloître des Carmes.
Dézinguer Angélica
Enfin le top est donné et c’est en duo que nos corbeaux entonnent avec force “croa, croa, croa”, le fameux jingle des trompettes composé par Maurice Jarre qui annonce le début des spectacles au festival d’Avignon. S’avançant sur le plateau comme un couple d’oiseaux de nuit effaré qu’il fasse encore jour, Laetitia Dosch et Jonathan Capdevielle, collés l’un à l’autre, font enfin leur entrée… Sortis d’on ne sait quel caveau avignonnais, ils incarnent, en dandys, des vampires pour qui l’urgence est de trouver très vite quelque chose à sucer. Vestiaire minimal pour lui qui se contente d’un t-shirt et d’un pantacourt noir. Robe de velours sombre et vertigineux décolleté de dentelles noires pour elle qui joue à merveille une princesse du mal se défendant vite, comme le fait la Liddell, de montrer sa chatte à tout bout de champ pour faire frémir le bourgeois.
Même s’il est question de faire rire avec la scatologie ou avec l’art d’enfourner toutes les bites qui passent à portée de leur bouche, cette obscénité revendiquée de clowns dévergondés est une cure de pureté en regard du prêche sinistre de l’hystérique caricature des Carmes qu’ils dénoncent et dont Les Corvidés est la plus élégante des critiques.
Quand Laetitia Dosch et Jonathan Capdevielle s’amusent à dézinguer Angélica Liddell, ils le font en vrais bouffons shakespeariens qui, on le sait, dament toujours le pion aux tartuffes même quand le genre se décline au féminin et qu’il se fait reluire sous les feux de la rampe en sorcière de l’apocalypse à poil sous ses jupons. C’est une des multiples raisons de rire de cette fable où vampires et corbeaux méritent tous nos hommages.
Les Corvidés conception et interprétation Jonathan Capdevielle et Laetitia Dosch, Festival d’Avignon, programme B du Sujet à Vif avec la SACD, Jardin de la Vierge du lycée Saint-Joseph Jusqu’au 14 juillet à 18h www.festival-avignon.com