Avec Crue, Philippe Forest explore, encore une fois, la douleur de la perte, dans un texte où le réel s’échappe vers le fantastique.
Un homme emménage dans un quartier en pleine rénovation, “terrain de jeux des urbanistes, des architectes, des promoteurs, des spéculateurs”. Alors que le paysage se transforme autour de lui, il cherche ce qui dans le présent subsiste du passé. C’est là qu’il est né, là qu’il vivait avec sa petite fille avant qu’elle ne décède.
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Philippe Forest creuse dans ce nouveau livre des thématiques qui sont au centre de son travail depuis son premier roman, L’Enfant éternel, en 1997 : le vide, l’absence, le deuil. Car tout disparaît dans la vie du narrateur, son enfance, son enfant, sa ville, sa mère aussi, qui se meurt dans un hôpital, un chat qui pourrait être un messager venu du monde des morts.
Autofiction et littérature fantastique
Des pans entiers de son quartier s’évanouissent à mesure que la rénovation urbaine progresse. Il estime de son devoir de témoigner, et se pose la question de ce qu’il doit taire : “Je ne dirai ici que le strict nécessaire, abandonnant à chacun le soin d’imaginer le reste.”
Philippe Forest aurait pu s’en tenir à cette très belle déambulation géographique, intime et textuelle, toute de chagrin retenu. Mais, imperceptiblement, ce maître de l’autofiction se met à jouer avec les codes de la littérature fantastique.
Dans le décor urbain de fin du monde qu’il a créé, apparaissent puis disparaissent de mystérieux voisins. Une jeune et énigmatique pianiste, un écrivain qui chaque nuit noircit des centaines de pages et prédit la fin du monde. Très subtilement, Forest perturbe le quotidien anonyme qu’il décrit et dérègle la réalité. Jusqu’à imaginer, dans de magnifiques pages, la catastrophe biblique qui donne son titre au livre.
Tout est condamné à être englouti
Avec cette parabole où tout, hommes et villes, est condamné à être englouti, Philippe Forest signe un roman déroutant, même si ce virage vers le romanesque avait déjà commencé avec Le Chat de Schrödinger ou même Le Siècle des nuages.
Resteront quelques images fortes, tel cet immeuble délabré où vit le narrateur. Un bâtiment ancien, comme survivant, qui se dresse tout seul au milieu d’une sorte de terrain vague, le reste étant en voie de démolition, où même déjà à l’état de gravats.
Crue (Gallimard), 272 p., 19,50 €
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