Avec cette première publication en français, Roman Muradov, jeune dessinateur russe fantasque influencé par les jeux littéraires, fait preuve d’un talent monstre.
En prenant à l’envers cet épais volume, on pourrait commencer par la courte histoire autobiographique finale. Raillant le succès posthume de leur jeune auteur, ces planches donnent le ton, absurde et parfois acerbe, de l’ensemble.
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En réalité, il n’y a pas ici d’itinéraire conseillé ou de raccourci à prendre tant l’intérêt de la lecture consiste à se perdre au milieu de ces récits labyrinthiques, à trouver son chemin face à des dessins souvent sublimes.
Un premier album sous l’égide de Perec et Queneau
Premier album français et impressionnante collection de publications éparses, Aujourd’hui, demain, hier ne manque pourtant pas de sens. Illustrateur russe installé à San Francisco, Roman Muradov dépeint avec un brin de férocité la vie sociale moderne, vue ici à travers le seul prisme de la compatibilité, là comme les coulisses nonsensiques d’une improbable sitcom. Mais cet héritier de Perec et Queneau comme de Seth et de Berberian manie avec une telle jubilation le langage qu’il ne peut se satisfaire d’intrigues linéaires.
Ainsi, situé dans un New York charbonneux et anachronique, Jacob Deléchielle et le Dernier Cri s’annonce comme une satire du milieu artistique, dérape en roman noir avant de prendre une direction hybride et poétique. Ces jeux sophistiqués avec les mots (“à deux, trois et même quatre niveaux”, selon le traducteur Charles Recoursé dans son précieux avant-propos) seraient sans doute moins impressionnants s’ils n’étaient servis par des métaphores graphiques et une bluffante galerie d’images.
Beaucoup de vie et d’audace dans ce recueil
Variant les styles et les techniques, Muradov ne tient pas en place et s’épanouit dans cette versatilité graphique. Passant du collage surréaliste à la ligne claire cubiste (ou quelque chose d’approchant), il fait la démonstration d’une partie de ses talents avec Les Disparitions. Dans ce récit inédit réalisé pour l’occasion, il multiplie les performances.
D’abord, en enchâssant une dizaine de séquences les unes dans les autres, il construit un récit en apparence échevelé qui obéit cependant à sa mécanique propre. Surtout, pour chaque séquence, il s’amuse à transformer son trait comme si elle marquait une renaissance. Décidément, il y a beaucoup de vie et d’audace dans ce livre qui n’a pas peur d’être à la fois exigeant et drôle.
Aujourd’hui, demain, hier tome 1 (Dargaud), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé, 200 pages, 19,99 €
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