Cette semaine, Nick Cave sort « Skeleton Tree », un album en partie enregistré après le décès de son fils. L’occasion de se pencher sur ces histoires de groupes et d’artistes qui ont réussi à transformer le deuil en musique.
C’est un 14 juillet, en plein enregistrement du successeur de Push The Sky Away que Nick Cave apprend l’horrible nouvelle. L’un de ses deux fils, Arthur est mort, tombé d’une falaise près de Brighton. Terrassé par la nouvelle, le chanteur ne fait aucun commentaire. Pourtant, en novembre 2015, il trouve la force de reprendre l’enregistrement de Skeleton Tree, son seizième LP avec les Bad Seeds. Le disque est sorti le vendredi dernier, avec, en parallèle, un film dirigé par Andrew Dominik, One More Time With Feeling, qui sortait en salles la même semaine.
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Le documentaire, décrit comme « le témoignage d’un artiste tentant de trouver sa voie à travers les ténèbres » est une plongée angoissante dans le contexte tragique de la création de l’album. Cave ne voulait faire aucune promo et a donc sorti un film à la place. Le réalisateur expliquait à la Mostra de Venise : « c’était une manière de parler de ce qu’il s’était passé, mais avec quelqu’un qu’il connaissait, en sécurité ».
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Le deuil des musiciens
La mort d’un enfant, la plus terrible, celle dont on ne se remet jamais, touchait Robert Plant en 1977. En pleine tournée avec Led Zep à la Nouvelle Orléans, il reçoit un appel de sa femme, révélant que son fils était très malade. Quelques minutes plus tard, un second coup de fil lui apprend que le petit Karac est mort. Cause du décès : un virus à l’estomac. En réaction au drame, Plant arrête la drogue et compose plusieurs chansons, comme la simple et poignante All My Love, figurant sur l’album final du groupe In Through the Out Door, sorti en 1979. Plus de vingt ans plus tard, le titre I Believe commence par les mots ”tears, tears, tears”.
Comme Nick Cave, Roy Orbison ne fait que repousser l’enregistrement de son album Roy Orbison’s Many Moods après le décès de ses deux fils dans l’incendie de sa maison. Le disque est publié en 1969 avec un titre équivoque, Yesterday’s Child et surtout sa magnifique interprétation d’Unchained Melody. Tout aussi tragique est la mort de Conor Clapton, fils d’Eric, tombé du cinquante troisième étage d’un immeuble new-yorkais en mars 1991. L’ancien membre de Cream, en pleine composition de la bande originale du film oublié Rush, glissera ce morceau demandant si son fils le reconnaîtrait au paradis.
Survivre à un pote
En matière de musique, le deuil s’est beaucoup plus souvent exprimé par la perte d’un ami. On pense par exemple à AC/DC, et l’album Back in Black, composé en hommage au frontman Bon Scott, étouffé dans son vomi après une soirée de beuverie. Second disque le plus vendu de l’histoire, cette quintessence hard rock contient deux morceaux hommages, Back In Black et Hells Bells, accueillant la rockstar aux portes de l’enfer.
Plus rapide que Lou Reed et John Cale qui attendront trois ans pour collaborer sur un disque à la mémoire d’Andy Warhol, Songs for Drella. Sorti en 1990, le disque est construit comme une pièce de théâtre, chaque chanson représentant un chapitre de la vie de l’excentrique mondain. Les mièvreries sont évitées et la narration à la première personne présente d’exquis moments de l’existence de l’artiste comme sur Open House, dans lequel Lou Reed parle de dessiner 550 paires de chaussures « et manquer de s’évanouir ”.
Les membres de New Order patienteront plus longtemps encore pour composer Elegia, un élégant instrumental en ode à Ian Curtis. Présent sur l’album Low Life, le titre est publié cinq ans après le suicide du leader de Joy Division. D’un côté, aucun de ses copains n’avaient souhaité se rendre à l’enterrement.
Plus que le suicide de Curtis ou l’overdose de Scott, l’assassinat de John Lennon par Mark Chapman provoque le 8 décembre 1980 un émoi terrible. Englué dans la culpabilité, Paul McCartney, en brouille avec son vieil ami, sort deux ans plus tard Here Today : réflexion sur l’absence définitive d’une âme sœur avec qui on ne pourra plus échanger. La figure du mort est rieuse et supérieure, alors que le song-writer se souvient en souriant de doux moments passés, de rencontres et de larmes. Sur un air plus joyeux, George Harrisson avouait son éternelle admiration pour Lennon avec All Those Years Ago, sortie en 1981. Décédé vingt ans plus tard, Harrisson fait à son tour l’objet d’un hommage de la part du quatrième Beatles, Ringo, sur Never Without You. Un titre rempli de limousines, de unes de journaux, de projecteurs et de nuits sauvages.
La mort de l’amour perdu
La frontière entre amitié, amour et relations charnelles peut parfois être floue. Surtout dans le monde de la musique et pour Janis Joplin et Leonard Cohen, qui, dans les années 60, firent plus que disserter sur leurs poètes favoris. Chelsea Hotel #2, du nom de l’établissement mythique où l’affaire se conclut, traite élégamment d’un bref épisode érotique quatre ans après le décès de la chanteuse. Cohen rentre dans un ascenseur et rencontre une jeune femme. Le reste appartient à l’histoire et à la chanson où Joplin déclame ”Qu’importe, on est laids mais on a la musique”.
Plus évident était l’amour porté par Paul McCartney à sa défunte épouse Linda. Deux ans après leur mariage en 1969, le duo collabore sur Ram, le meilleur LP post-Beatles du bassiste. Moitié d’un couple mythique, Linda décède en 1998 d’un cancer du sein, propagé à son foie.
Un an plus tard, McCartney fabrique le plus beau des hommages en compilant des inédits enregistrés avec l’amour de sa vie depuis 1972. Album posthume, Wide Prairie commence par la voix de Linda, narrant sa rencontre avec ”ce mec cherchant du feu” dans un aéroport parisien. Forcément inégal, le disque comporte quelques pépites telles que Poison Ivy ou Oriental Nightfish.
Perdre un être cher est toujours une expérience pénible. Mais certaines circonstances sont plus accablantes que d’autres. En 1978, les autorités nigérianes goûtent peu les critiques et le style de vie ”immoral” de Fela Kuti. Si bien que l’armée organise un raid sur sa propriété. Sa mère, âgée de 75 ans est jetée à travers une fenêtre par un ”soldat inconnu”. Elle décède de ses blessures plusieurs mois plus tard. Le maître de l’Afrobeat en tira deux morceaux incandescents, Coffin For Head of State et Unknown Soldier.
Dans l’ère moderne
Bien évidemment, les amitiés entre musiciens dépassent le simple cadre du groupe. Puff Daddy retranscrit ainsi la peine ressentie après le meurtre de Notorious BIG dans I’ll be Missing You avec cet étonnant sample de Police. Plus récemment, le dernier Caribou, Our Love, comporte un morceau à la Moby titré Julia Brightly, comme son ingé son récemment décédée. Plus célèbre, la ballade morose Flags Of The Old Regime, composée par Pete Doherty pour Amy Winehouse. Le titre, écrit quelques heures après la mort de la diva, fait référence aux soirées délurées du duo, comme le vers ”Chewing up your jaw” (mâchouillant ta mâchoire).
En 2016, il semble devenu difficile d’exprimer romantisme et mélancolie sans être cataloguer « fragile ». Quoi que cela puisse vouloir dire. Dans ce monde, Carrie & Lowell, le chef d’œuvre de Sufjan Stevens, est comme une lourde goutte tombée d’un sombre nuage suspendu au dessus des hommes. Parue en 2015, cette lamentation devait servir de thérapie au génie américain, trois ans après le décès de sa mère. En se plongeant dans son enfance, à la période où Carrie était encore en vie et mariée à Lowell, Stevens avoue s’être enfoncé « dans le doute et la misère » pendant une longue et ténébreuse année.
Les ténèbres, les membres d’Arcade Fire y sont à moitié enterrés lors de la confection de leur premier LP. Will et Win Butler viennent de perdre leur grand-père, Régine Chassagne sa grand-mère et le multi-instrumentaliste Richard Reed-Perry, sa tante. Funeral célèbre ainsi la vie et la mort en dix titres éternels marqués par un deuil collectif. On pense à Haiti sur lequel Chassagne invoque « ses cousins jamais nés » hantant les nuits du dictateur Duvalier. Puis surtout à In The Backseat et cet arbre généalogique perdant toutes ses feuilles.
Acteur de sa propre mort
Impossible d’écrire sur la mort en musique sans évoquer le dernier album de David Bowie. L’un des grands disques de l’année 2016 où la légende met en scène son propre trépas dans un adieu final chargé en électricité et en émoton. Blackstar est une référence à une lésion cancéreuse, Lazarus à la réincarnation et son clip le présente seul, face à la mort, dans un triste lit d’hôpital avec ce regard d’animal terrorisé que l’on ne peut voir que dans les yeux des mourants.
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