“Drag Race France 3” c’est bientôt fini ! Avec pertes et fracas, cette dernière saison a essuyé nombre de pots cassés tout en se relevant constamment. Bilan (sans spoilers) d’une saison chaotique et d’une finale qui l’était tout autant.
Dans la communauté des fans de Drag Race, les légendes se font et se défont. Parmi une myriade de théories, l’une d’elle, généralement appelée “la malédiction de la saison 3”, implique que la troisième saison des franchises internationales est systématiquement la moins réussie. Le Canada, l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande (toutes deux rassemblées dans Drag Race Down Under), les seuls pays en dehors des États-Unis à avoir atteint ce stade se sont ainsi brûlés les ailes. Alors qu’en est-il de notre variation française, jusque-là plébiscitée à cor et à cri par le monde entier ?
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On ne peut pas dire que cette dernière ait donné tort à la maxime. Mais bien qu’assez impopulaire dans ses premiers épisodes, le show a heureusement su retomber sur ses pattes en deuxième partie de saison, notamment grâce au twist bien trouvé du téléphone rose, dont la sonnerie, annonciatrice d’une épreuve-surprise, a fini par devenir un gimmick relativement solide et réfléchi qui nous a offert un snatch game d’anthologie et une demi-finale haletante. Mais le boîtier strassé et l’impeccable casting mis à part, que reste-t-il à la saison ?
Avalanche de polémiques
Il faut dire que sur les réseaux sociaux, la saison a déchaîné : une blackface de Leona Winter datant de 2018 a refait surface, le jury a été accusé de favoritisme en sa faveur, le départ de Magnetica en deuxième semaine a fait polémique… Il y a eu aussi la blague très impopulaire de Nicky Doll sur Jordan Bardella, et enfin le triste sort réservé à le Filip, favorite du public, et qui n’a remporté aucune victoire.
Cette atmosphère électrique a accompagné la saison tout au long de sa diffusion jusqu’à l’enregistrement de la finale, tournée au préalable le vendredi 12 juillet au Grand Rex. Pendant le récap de la demi-finale en début de soirée, il était difficile d’ignorer les huées lors des premières apparitions à l’écran de Leona Winter, en signe de protestation contre sa présence en finale. Si le public s’est peu à peu apaisé au fil du tournage, offrant parfois des standing ovations timides à la queen de 29 ans, la tension est restée palpable.
Une formule qui se solidifie
La mécanique de la finale reste identique à celle de l’an passé : les quatre finalistes performent sur des chansons écrites spécialement pour elles, deux se qualifient pour le lipsync final et chacune mime sa victoire avant de connaître la véritable gagnante au moment de la diffusion télé ce vendredi 19 juillet. Malgré la formule inchangée, reste un carré final d’une trempe bien différente de celle de l’année dernière.
Exit les performeuses physiques que pouvaient être Sara Forever, Keiona et Mami Watta, cette édition 2024 s’est séparée de ses danseuses les plus coriaces (Misty Phoenix, Perseo) avant la fin pour proposer un panel de queens à contre-courant et des performances en lien avec leurs storylines respectives : prévenue dès le 1er épisode de corriger sa timidité, Lula Strega brise littéralement ses chaînes et s’en affranchit tandis que Leona Winter, critiquée pour sa froideur et son manque d’émotion, se livre avec une chanson poignante et une mise en scène dépouillée. À côté de ça Le Filip joue à fond sur sa nonchalance, que Daphnée Burki lui avait reproché dès le début de saison, et Ruby on the Nail chante sa beauté et son assurance après avoir lutté avec tout au long du programme.
Bal de reines
Des quatre, c’est justement cette dernière qui semble la mieux placée pour la victoire. Véritable underdog dont l’ascension à mesure des épisodes a fait l’unanimité auprès du public, elle est aussi une figure connue et respectée du monde du drag. Lula Strega, elle aussi deux victoires à son actif, représente une adversaire de taille mais dont le couronnement semble encore peu probable, dû à son jeune âge et sa personnalité encore trop discrète. Peu de chances aussi de voir Leona Winter couronnée après tous les scandales qui ont rythmé son aventure, même si tout porte à croire, au vu du montage de l’émission, que la production la voyait dès le début comme une sérieuse prétendante. Une faveur dont semble ne pas avoir profité Le Filip, coup de cœur du public à qui le jury n’a pourtant accordé aucune victoire (et ce n’est pas faute de les avoir méritées).
Du reste, la finale est un réjouissant rassemblement de queens (et de kings). Compliqué de bouder son plaisir à l’idée de revoir les concurrentes éliminées, notre chouchoute de la saison 2 Moon, présente pour remettre le titre de Miss Sympathie, Keiona revenue triomphante pour passer le flambeau et couronner sa remplaçante. Même chose du côté du public, où les plus belles créatures sont venues assister, des étoiles dans les yeux, à la célébration la plus totale de l’art qui les meut. Les plus connaisseur·euses risquent même de reconnaître deux queens américaines venues faire une surprise à Nicky Doll et au public français !
Une finale politiquement aux fraises
Si la finale de l’année dernière avait le goût d’une bacchanale révolutionnaire, celle-ci s’aborde relativement différemment. Venue cimenter un peu plus la place de la franchise et de son format dans le paysage télévisuel français quelques jours après les scores colossaux de l’extrême droite aux européennes puis aux législatives, cette conclusion de la saison avait un certain poids sur ses épaules. D’abord en apportant réponses et excuses aux polémiques susmentionnées, mais aussi et surtout celui de se faire le porte-voix de la communauté LGBTQI+, plus que jamais menacée par un climat politique hostile. Pour le premier, l’entreprise de mea culpa de la queen franco-espagnol est réalisée plus ou moins adroitement, même si l’impression d’une opération de communication reste dans un coin de notre tête.
Pour le reste en revanche, le show est loin de s’être montré à la hauteur. Hormis un “on emmerde les fachos !” de Norma Bell et un subtil sous-entendu de Ruby on the Nail (“Il faut de l’amour pour vaincre la haine”), dont on n’est même pas sûr qu’ils ne soient pas coupés au montage définitif, cette finale sous haute tension a choisi de faire l’autruche. Ce ton lisse et sage, le prix à payer pour accéder à une telle visibilité ? Voila le risque que Drag Race France lorgne dangereusement : celui d’une recherche désespérée du grand public. Car si les queers n’ont jamais eu de mal à briller, cette exposition privilégiée de leurs récits reste à la fois inédite et dépendante du bon vouloir de directions frileuses, et donc irrémédiablement fragile. Faire des concessions, pourquoi pas. Mais jusqu’à où ?
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