Les deux femmes se partagent l’affiche de « Voir du pays » de Delphine et Muriel Coulin. Rencontre.
Avant de tourner ce film, l’univers militaire, guerrier, vous intéressait ?
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Soko – Pas du tout ! Je suis absolument anti-violence, anti-guerre. Dans un monde idéal, on n’aurait pas besoin d’armée. Je ne peux même pas regarder un film d’horreur tellement tout ça me terrifie. Mais c’est justement ce qui m’intéresse dans le cinéma, sortir de ma vie, jouer des rôles qui me sont très éloignés, faire des rencontres, essayer de comprendre et d’avoir de la compassion pour des gens et des univers qui me sont étrangers. J’aime plonger ainsi dans ce qui ne m’est pas familier.
Ariane Labed – Pareil ! Je suis fille de profs, donc plutôt d’une éducation plutôt antimilitariste. J’ai une aversion pour le treillis, le képi, l’uniforme, mais je suis très heureuse d’avoir traversé tout ça par l’entremise de ce film. Rencontrer des soldats, parler avec eux, ça m’a permis de me faire une idée de la vie de ces gens, de me rendre dans quel état ils sont quand ils reviennent des lieux de guerre. Je suis contente que le cinéma m’ait emmenée dans un endroit où je ne serais pas allé moi-même.
Ça fonctionne comme ça pour le spectateur. On n’est pas franchement militariste ou va-t-en guerre mais on aime bien les films de guerre quand ils sont bons…
Soko – Oui puis ce film permet de découvrir des individus qui avant d’être des uniformes sont des personnes qui viennent de milieux non favorisés et qui embrassent une carrière où ils risquent leur vie tous les jours. Ca demande un courage énorme… Et encore plus quand les soldats sont des femmes.
AL – Il y a une forme de folie attachante chez ces soldats et soldates. Ils ont un côté tête brûlée qu’on n’a pas tous forcément, un rapport à la vie et à la mort différent du nôtre. Ça force le respect.
Soko et Ariane Labed dans « Voir du pays », de Delphine et Muriel Coulin (copyright Diaphana Distribution 2016)
Vous vous êtes beaucoup immergées dans le milieu militaire avant le tournage ou vous êtes arrivées « vierges » ?
AL – On est allé dans une caserne rencontrer des militaires. On a parlé avec eux, on est montées dans un char, on a touché des armes, on s’est entraînées sur des écrans comme eux… C’était la première approche du rôle. Une caserne, c’est vraiment un monde à part, avec ses codes, son langage, différents de ceux de tous les jours.
Soko – Il y règne une hiérarchie beaucoup plus stricte et prégnante que dans la vie normale. Des anciens soldats nous ont conseillé sur le film, il avait un rapport très fort à la vérité, à l’exactitude de leurs gestes et de leurs comportements. C’était fondamental pour la crédibilité du film.
Le film nous met en rapport avec deux altérités : les militaires d’abord, puis les femmes militaires.
AL – Oui, il y a ça. Le film évoque surtout un sujet jamais évoqué en France, celui du retour des militaires après la guerre. Dans quel état sont-ils ? Comment reviennent-ils à la vie quotidienne ?
Soko – C’est aussi une histoire d’amitié très forte. Deux filles du même milieu qui ne vivent pas l’armée de la même façon. L’une pense que c’est là sa carrière, l’autre a aussi envie de liberté, d’être une femme, d’être regardée pour sa sensualité, sa personnalité, et pas seulement comme un bout de viande.
Soko (Copyright Renaud Monfourny pour Les Inrockuptibles)
Ce film montre que les soldats sont les premières victimes de la guerre, même quand ils reviennent vivants et non blessés physiquement ?
Soko – Oui, parce qu’ils ont été blessés psychologiquement. Ils reviennent avec des failles énormes.
AL – Les Américains ont fait beaucoup de films sur ce thème, notamment suite à la guerre du Vietnam. L’Afghanistan, c’était une boucherie et ils reviennent complètement défaits, et on le voyait avec les soldats qu’on a rencontrés. Ces gens reviennent brisés et on ne sait pas quoi en faire.
Les films de guerre vous ont-ils nourries pour préparer ces rôles ?
Soko – GI Jane était un bon conditionnement ! (rires)… American Sniper de Clint Eastwood aussi.
AL – On a regardé aussi juste avant le tournage le documentaire Of Men and War, un film assez génial qui était une superbe préparation parce que c’était exactement notre sujet : l’état des soldats après la guerre.
Avez-vous pensé aussi à des images d’actu, comme par exemple l’affaire Abou Graïb, même si ce n’est pas exactement la même histoire que dans le film ?
AL – Les pétages de plomb des soldats existent depuis toujours mais l’armée communique peu là-dessus, et même pas du tout. C’est le grand silence, la grande muette. Cela dit, le scénario des sœurs Coulin était très précis, notre travail consistait plus à se plonger dans ce matériau qu’à prendre des indications dans tel film ou telle actu. Il y avait déjà tellement à puiser dans le scénar et dans cette histoire qu’on n’avait pas vraiment besoin d’autre chose, si ce n’est les conseils des anciens militaires.
Ariane Labed et Soko dans « Voir du pays », de Delphine et Muriel Coulin (copyright Diaphana 2016)
Le film est assez physique. Votre travail d’actrice était-il plutôt très documenté en amont et psychologique, façon actor’s studio, où plutôt sur la spontanéité du présent du tournage ?
Soko – Ariane et moi, on est plutôt instinctives. On n’est pas hyper techniques, on n’est pas Actrices avec la majuscule, on n’a pas besoin d’imaginer des caisses sur notre personnage. On est très dans l’instinct et dans l’instant, on a envie de ressentir, pas de fabriquer. On avait posé beaucoup de questions en amont, du coup, sur le tournage, on était déjà bien dedans.
AL – L’aspect physique a été très important, les postures, les gestes… On a travaillé avec une coach militaire qui a l’habitude de préparer les soldats pour la guerre, puis pour la décompression après. On a marché pendant des heures, on s’est entraînées… Les postures militaires, ce sont des codes très précis qui nous ancraient très concrètement dans nos personnages.
Soko – On a été choisie parce qu’on a en nous une certaine force, un dynamisme, une vitalité qui étaient nécessaires au film. Ce sont des femmes fortes qui s’engagent dans l’armée, pas des midinettes.
Arianne, vous avez tourné avec Athina Rachel Tsangari, Yorgos Lantimos, Lucie Borleteau, Philippe Grandrieux, puis vous serez dans Assassin Creed… Soko, vous avez tourné avec Xavier Giannoli, Alice Winocour, Spike Jonze… Qu’est-ce qui guide vos choix de projets de cinéma ?
AL – Moi, j’essaye de travailler avec des cinéastes que j’admire, dans le cadre de ce qu’on me propose. Après, je choisi mes projets aussi à l’instinct. Pour Voir du pays, après avoir lu le scénar, je me suis dit que oui, il fallait parler de ce sujet. Je rêvais de travailler avec Philippe Grandrieux, je suis ravie de l’avoir fait. J’ai besoin de travailler avec des gens qui sont en recherche, qui s’engagent, qui prennent des risques. C’est pour ça que je fais du cinéma. Le tournage de Malgré la nuit, c’était une expérience magnifique. J’aimais déjà beaucoup le travail de Philippe, c’est un cinéaste hyper formaliste, hyper sensuel. Son film est comme un rêve, un cauchemar, il nous emmène dans des endroits de nous-mêmes où on n’a pas forcément envie d’aller. Il est lui-même au cadre, il suit les mouvements de ses acteurs. Sur ce tournage, j’ai l’impression d’avoir dansé avec Grandrieux pendant trois semaines !
Soko – Moi, je suis très bien dans ma vie de musicienne, donc quand je mets cette vie sur « pause », il faut que le projet soit à l’opposé de ce que je vis déjà. Quand on me propose un rôle trop proche de moi, je n’en ai aucune envie puisque je suis déjà à fond dans ma vie. Au cinéma, j’ai envie de mondes et de rôles dont je ne connais rien et dans lesquels je peux apprendre, découvrir, m’épanouir, devenir quelqu’un d’autre. Tout rôle qui est très éloigné de ma personnalité m’excite. Ensuite, j’aime travailler avec des réalisateurs pour qui il est vital de faire leur film. Je ne veux pas faire un cinéma trop bourgeois et trop confortable. J’aime quand les réalisateurs ont passé six ou sept années à travailler sur leur film, quand c’est pour eux une question de vie ou de mort. Le cinéma, et l’art en général, me touchent quand c’est vital et que ça vient des tripes. Jusqu’à maintenant, j’ai eu cette chance. Alice (Winocour) avait mis sept années à préparer Augustine, et les sœurs Coulin, entre le moment où elles ont écrit le livre et le moment du film, plusieurs années ont passé.
Ariane Labed (copyright Renaud Monfourny pour Les Inrockuptibles)
Un film, une actrice, un acteur ont-ils marqué votre jeunesse de spectatrice ?
Soko – Ponette de Jacques Doillon, parce que ça ressemble à mon histoire. J’ai perdu mon père quand j’avais 5 ans et Ponette est le plus beau film sur le deuil. Doillon avait dirigé la fillette de façon magistrale.
AL – Moi, ce serait plutôt des découvertes de cinéastes dont je me souviens : Bresson, Cassavetes… Par contre, je ne saurais pas citer un acteur, je n’ai jamais été vraiment fascinée par eux…
Soko – Moi c’est pareil ! C’est un truc de journaliste, ça, de pouvoir écrire « Soko a été inspirée par « un nom » »… Non, c’est tellement plus vaste et complexe que ça.
AL – Il y a beaucoup d’acteurs et actrices que j’aime mais je ne pourrais pas en citer qui ait suscité chez moi un désir particulier, notamment celui de devenir comédienne.
Soko – Je pourrais dire « ah, quand j’ai vu La Boum, je suis tombée amoureuse de Sophie Marceau et j’ai voulu faire des films pour devenir la copine de Sophie » (rires)… Mais non, ça ne fonctionne pas comme ça.
Et aujourd’hui, il y a des cinéastes que vous chérissez, dont vous guettez chaque nouveau film ?
Soko – Xavier Dolan à fond !
AL – PT Anderson, Leos Carax, Bruno Dumont… J’ai toute une liste comme ça. Des réalisateurs intéressants, il y en a quand même pas mal.
Propos recueillis pas Serge Kaganski
Voir du pays de Delphine et Muriel Coulin, sortie le 7 septembre
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