L’acteur le mieux payé du cinéma américain est aussi au centre d’une épatante série de HBO sur les coulisses du football américain dans laquelle il achève sa mutation de comédien. Ça tombe bien : secrètement, « Ballers » ne parle justement (presque) que de ça.
Un indice s’affiche sur votre écran. Il s’agit de l’image, presque subliminale, d’un footballeur qui exulte. Au dos de son maillot des Miami Hurricanes, on peut lire son numéro, le 94, ainsi que son nom en lettres rouges : « D. Johnson ». Pas d’erreur, c’est bien lui. Avant de devenir l’acteur le mieux payé d’Hollywood, avant même de connaître la gloire dans l’univers spectaculaire et outré du catch et de gagner le surnom « The Rock », Dwayne Johnson tenta de faire carrière dans le football américain. Sans grande réussite malgré un titre universitaire remporté avec Miami en 1991 – Johnson, alors âgé de 19 ans, était remplaçant.
Au fond, Ballers ne parle que d’une chose
Mais l’essentiel n’est pas là. Un quart de siècle plus tard, la présence de ces images au début du générique de chaque épisode de Ballers a valeur d’aveu. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la série créée par Stephen Levinson, un ancien producteur d’Entourage, et dont HBO, relayée en France par OCS, diffuse actuellement la saison 2, n’est pas tout à fait une plongée sans concession dans le milieu à la fois sinistre et fascinant du football américain. D’abord parce qu’au fond, et c’est sa première qualité, Ballers serait plutôt une vraie bonne comédie, mais surtout parce que son véritable sujet n’est pas vraiment le sport. Au fond, Ballers ne parle que d’une chose : de Dwayne Johnson – son parcours, sa vie, son œuvre.
Dans la série, Johnson est Spencer Strasmore, ancienne gloire de la NFL reconvertie en conseiller financier pour footballeurs US encore en activité. Mais, aux côtés de ces derniers, il est (ou en tout cas s’emploie à être) beaucoup plus que ça : un soutien, un confident (au moment de négocier un contrat avec La Nouvelle-Orléans ou Buffalo, par exemple), un arrangeur de problèmes (blessure au paintball plutôt qu’à l’entraînement, scandale sexuel avec la maman d’un coéquipier…), une figure de masculinité adulte et protectrice dans un monde de petits garçons richissimes mais immatures (où, par ailleurs, les femmes ne sont pas précisément gâtées).
Une pure présence rassurante
Strasmore est ce « Rock » sur lequel ces adolescents presque trentenaires, qui sont aujourd’hui ce que lui fut autrefois, viennent s’appuyer et se reposer, une figure de responsabilité et de fiabilité, un homme qui dépasse sa fonction pour porter à peu près tout ce qui n’est pas lui (les jeunes footballeurs, son collègue et acolyte flambeur et vaguement veule joué par l’idéal Rob Corddry ou la série dans son ensemble) sur ses larges et solides épaules. Dans Ballers, Dwayne Johnson est celui qui prend du recul et réfléchit au lieu de foncer tête baissée. Massif, son corps n’est d’ailleurs pas une machine offensive (éventuellement en sommeil) mais une pure présence rassurante. Il occupe l’espace – littéralement, visuellement : quand il est là, il ne reste plus beaucoup de place dans le plan. Rien de vraiment, de définitivement grave, ne semble alors pouvoir arriver.
Quand Strasmore, confronté à un vieux rival sur un plateau télé, perd son sang froid et se jette sur lui devant les caméras, c’est une évidente défaite publique (et un risque sur le plan professionnel) pour le personnage, qui est comme rattrapé par son passé (la brutalité, l’impulsivité). Car plutôt qu’une arme, ce corps hors-normes est une allégorie de ce qui, dans la série, fait vraiment la force de Strasmore et, avec lui, de son interprète : l’intelligence.
L’avenir appartient au cerveau
Si les muscles occupent l’écran, c’est l’esprit qui travaille, séduit de nouveaux clients et tire les anciens des mauvais pas dans lesquels ils se fourrent généreusement. D’ailleurs, la condition physique du héros de Ballers atteint ses limites : après des années de chocs et de contacts sur les terrains de football, la hanche de Strasmore est touchée et seuls les analgésiques lui permettent de tenir. Ce corps est un mirage, une relique du passé. L’avenir appartient au cerveau.
Le parcours du héros de Ballers rejoint ainsi celui de Dwayne Johnson lui-même, du temps de l’activité essentiellement physique (le foot, le catch, voire le cinéma d’action) à celui de la pensée et des nuances. Ce qui se dit ici est que de tout cela, qui est bien beau, il faut aussi parfois savoir sortir. Alors, dans la série, The Rock parle comme il ne l’avait encore jamais fait sur un écran, démontrant définitivement ce que certains films (San Andreas, Infiltré, Fast & Furious 5 et 6…) laissaient deviner par séquences : son grand talent de comédien. Loin des grimaces des catcheurs, il s’installe tout en retenue, imposant une sorte de minimalisme chaleureux par un mélange de conviction et de douceur dans la voix, les gestes, les expressions. Dwayne Johnson termine ainsi en beauté – et à la télé – ce virage qu’Arnold Schwarzenegger n’avait jamais achevé.
Le double héritage de The Rock
Osera-t-on le fantasmer en fils tardif du couple gay historique que formèrent jadis Randolph Scott, l’ancien athlète devenu vedette de westerns, et Cary Grant, le prince suprêmement élégant de la comédie américaine ? Car tel est le double héritage de The Rock qui se révèle ici : d’une part le minéral, de l’autre les bulles de champagne. Dans Ballers, la lourdeur de son corps devient un atout paradoxal : cette masse de muscles est elle-même la scène, l’endroit où ça se passe. Ça pétille au sommet de la montagne. C’est beau à voir.
Ballers, saison 2, sur HBO et OCS City