Lou Reed et Metallica ont la joie de vous annoncer la naissance de Lulu, déluge de bruit blanc et d’idées noires.
Ce 13 juillet 2011, les journalistes espagnols montent à l’assaut de la suite 1203 au premier étage du Claridge de Londres où se déroulent les interviews qu’accordent Lou Reed et Metallica autour de Lulu, leur album commun. Dès la première question, ils se font jeter. Quelle idée ! Brancher Lou sur la pochette de son premier album avec le Velvet Underground ! Rien de tel pour glisser sur une peau de banane ! Viennent ensuite les Italiens qui le confondent avec un ancien membre des Brigades rouges, un compagnon de cellule de Cesare Battisti, lui causent politique et pan !, se font fusiller. Reste à envoyer au carnage les Allemands, puis le Frenchy.
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Sauf que Lou doit aller manger et se faire masser (quasiment entre chaque interview). Dans ce climat incertain, vous patientez à l’entresol où l’on vous sert du thé dans de la porcelaine blanche de chez William Edwards. On vous prête aussi un vieux Discman pour une écoute de ce que Lou appelle “un mariage au paradis”. En fait, une descente aux enfers. Kirk Hammett, le guitariste de Metallica, rembobine le film de ces noces barbares : “Tout a commencé en octobre 2009 pour le 25e anniversaire du Rock and Roll Hall of Fame à New York, où l’on a joué ensemble pour la première fois. A la fin de la répétition de sa chanson White Light/White Heat, Lou s’est exclamé : ‘Putain ! Fantastique les gars ! On devrait faire un album ensemble.’ Après le concert, on s’est retrouvés dans le même ascenseur et là il nous a relancés. ‘Putain les mecs, j’aimerais tant qu’on le fasse ce disque !’ Quelques jours plus tard, on a reçu des textes.”
Au printemps 2011, l’ancien démiurge du Velvet Underground et les saigneurs du trash-metal s’enferment quatre semaines dans le studio de ces derniers à Marin County, au nord de San Fransisco. A l’origine, Lou envisage d’enregistrer quelques morceaux inédits avant de sortir du congélateur le corps mutilé d’un projet destiné au metteur en scène et chorégraphe Robert Wilson.
Inspiré par l’oeuvre du dramaturge allemand Frank Wedekind, Lulu fut adapté dans les années 30 par le compositeur Alban Berg pour son opéra dodécaphonique du même nom. L’histoire décrit l’ascension d’une jeune femme dans la société bourgeoise européenne de la fin du XIXe siècle jusqu’au meurtre de celui qu’elle aime, sa chute dans la prostitution et son suicide. Au vu de ce que renferme ce conte sur la violence des rapports humains, ce qu’il exhibe de déchéance, de perversions, de culpabilité, de haine de soi, on ne s’étonne guère qu’il ait retenu l’attention du maître absolu en la matière. Quelle oeuvre contient plus de noirceur et de cruauté que la sienne ?
Entre les mains de Lou, Lulu va se changer en Lilith déchaînée, sado-maso, bisexuelle, qui précipite dans sa chute ceux et celles qu’elle séduit. Sa Lulu épanche des goûts nettement scatophages, supplie qu’on lui crache à la gueule, qu’on lui mette des trucs dans le minou, réclame des fist-fuckings. La monstruosité du sujet exigeant une monstruosité sonore à la mesure, on comprend que Lou Reed ait attendu d’avoir sous la main le groupe le plus bruyant de la planète avant de se lancer dans cette sordide histoire.
A l’aune de sa discographie, l’objet se situe quelque part entre Berlin, Rock’n’Roll Animal et Metal Machine Music, avec ce que ce triptyque recouvre de fantasmagories délabrées, d’abus, de déflagrations. Le New-Yorkais récite plus qu’il ne chante. Le mur de guitares est monumental, les changements d’accords rares, les mélodies absentes.
A cause de la longueur de certains titres – jusqu’à vingt minutes pour Junior Dad –, la monotonie guette parfois. On ne risque pas de danser beaucoup là-dessus. Qu’importe. “Dans un monde disposé au mal, les danseurs sont immobiles”, chantait Lou dans une autre vie. Quoi qu’en disent les intéressés, le résultat procède moins d’une joint venture que d’un compromis. C’est Reed le patron, lui qui utilise à ses fins personnelles la force de frappe du quatuor californien pour ce qu’il considère comme l’apothéose de sa carrière.
“J’ai eu la chance grâce à leurs talents de pouvoir une fois pour toutes élever le niveau de la musique de manière à mettre définitivement un terme à la trop longue domination de tous ces compositeurs européens morts.” Devant notre air interdit, tandis que le batteur Lars Ulrich et le guitariste James Hetfield meurent de rire, il parfait l’autocongratulation : “Ma Lulu avait une tête. Ne lui manquait que les jambes.”
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