Saxophoniste irascible, James Siegfried, de son vrai nom, compagnon de route de Jim Jarmusch, Jean-Michel Basquiat ou encore Richard Hell, avait contribué à dégonder le punk en l’infusant de sonorités funk et free jazz. Il avait 71 ans. Souvenir d’une rencontre ratée avec la légende.
C’est par l’entremise d’un message posté sur la page Facebook du musicien que nous avons appris la nouvelle : James Chance est mort, mardi 18 juin, à l’âge de 71 ans. Une information rapportée par son frère, David Siegfried qui, s’il ne s’étend pas sur les causes du décès, précise toutefois que la santé du saxophoniste punk n’avait cessé de décliner ces dernières années.
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D’après le communiqué, son dernier concert remonterait au 19 mars 2019, à Utrecht, aux Pays-Bas. Fondateur des formations Teenage Jesus & the Jerks (avec Lydia Lunch), James Chance & the Contorsions, James White & the Blacks et autres variations autour de son nom de scène, il avait subverti tous les genres, du funk au free jazz, en les passant à la moulinette punk avec un groove bancal.
Voix de roquet acariâtre
En attendant une nécrologie en bonne et due forme, la mort de James Siegfried, de son vrai nom, saxophoniste irascible né le 20 avril 1953 à Milwaukee, Wisconsin, ayant fait du New York drogué de la fin des années 1970 son terrain de jeu, me rappelle que j’avais presque réussi à interviewer la légende. C’était le 10 mars 2019, à Paris. Soit neuf jours avant son ultime concert. James est alors accompagné d’un band de musiciens italiens avec qui il a monté une petite tournée européenne. Ce jour-là, il doit jouer dans la salle parisienne du Supersonic (Paris XI) et se produit sous le nom de James Chance & the Contorsions. Le bassiste du groupe m’a assuré que James était disposé à s’entretenir avec moi. Je tente le coup, en gardant bien en tête que tout peut capoter. Et tout capota.
Un peu avant l’heure officielle d’ouverture de la salle, on m’accueille au Supersonic. James est là. Il se déplace comme un petit farfadet qui tangue, séquelles d’une vie de junky patachon. On me le présente, il me sert la main sans trop me regarder. Je lui dis : “Nice to meet you.” Il baragouine : “ouais ouais ouais, bon”. Et puis, il file. Fin de l’interview ? Je demande au bassiste si l’entrevue tient toujours. Il me répond que oui. J’attends, je bois un coup, je regarde ma montre. Le bassiste revient : “On fait ça dans dix minutes.” Dix minutes plus tard : “Bon, on fait ça après le concert.”
Le concert se passe. Petits pas de danse qui auraient bien fait marrer James Brown, souffle exténué dans saxophone éraillé, voix de roquet acariâtre. James Chance est fidèle à sa réputation : une vraie teigne. À un spectateur qui n’a de cesse de poser ses mains sur le bord de scène, il assène un coup de savate qui passe à deux centimètres de son visage. “Hey, mais j’ai payé pour être là.” Et James de rétorquer : “Et moi j’ai payé toute ma vie pour cette vie, enfoiré. C’est pas ton concert, c’est le mien. Connard. Tu peux dégager de la salle maintenant.”
À la fin du show, il repart en pestant, avec son air d’éternel renfrogné. Je chope le bassiste : “Et mon interview ?” Il se marre et me répond : “Je crois que t’as pas envie d’avoir affaire à lui maintenant.” C’était l’un des derniers concerts de James Chance.
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