À quelques jours du premier tour des législatives, on a demandé à 4 jeunes Français·es de nous expliquer comment ils et elles construisent leur conscience politique à l’ère d’Internet et des réseaux sociaux.
Eitan, 22 ans, alternant en audit financier, Lille, “libertarien de droite”
“J’étais assez apolitique jusqu’à ma deuxième année de prépa. Quand j’avais 20 ans, j’étais un peu de gauche par défaut, d’une gauche qui accepte toutes les thèses de la bien-pensance d’aujourd’hui, comme l’écologie. Quand j’étais petit, j’ai eu très vite des idées assez communistes, du genre ‘pourquoi tout le monde n’aurait pas telle somme d’argent’. Mais en grandissant, on se rend vite compte que c’est plus compliqué que ça. J’avais des amis qui aimaient beaucoup débattre, et comme j’avais peu d’idées je les écoutais surtout. Ils aimaient bien être très limites dans ce qu’ils disaient et avoir des positions assez border sur le ton de la rigolade, disaient des choses qui pouvaient me choquer – mais qui ne me choque plus du tout aujourd’hui et me semblent assez banales. Puis, petit à petit, j’ai commencé à me documenter de mon côté. Il y a d’abord eu un documentaire sur le blocus du campus d’Evergreen aux États-Unis, pour des questions de wokisme. Ça m’avait assez révolté à l’époque, j’avais trouvé ça incompréhensible et dégénéré, même si ce n’est pas politiquement correct à dire. Donc j’ai voulu faire mes armes contre ce genre d’idéologies-là, et j’ai commencé à suivre des youtubeurs considérés de droite comme Valek ou Le Raptor. Je me suis surtout intéressé à la politique avec YouTube et ses contenus vulgarisés, moins avec les médias traditionnels comme la presse écrite ou la télévision. Pendant tout le lycée, je vivais en Côte d’Ivoire, donc j’étais assez à l’écart des infos sur la France, je suivais grâce à des médias comme Brut ou Konbini, que les gens repartagent sur Instagram à chaque scandale. Le militantisme en ligne c’est très bien, c’est la meilleure façon de rendre la politique accessible aux plus jeunes. Pour moi, tout ce qui est manifestations, tractages, ce n’est pas la forme de militantisme la plus efficace. Le mieux, c’est de pousser les gens au bout de leurs idées et de les faire réfléchir à des sujets sur lesquels ils n’ont pas forcément l’habitude de réfléchir, d’apporter un contrepoids… La presse traditionnelle ne fait plus ça aujourd’hui. Il y a toujours des intérêts derrière, elle n’est plus libre et est financée par l’État qui tire les ficelles de ce qu’elle doit dire. Je ne pourrais pas lui faire confiance.”
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Capucine, 23 ans, Aveyron, conseillère dans le domaine de l’agriculture, “gauche écologiste”
“Ma conscience politique vient surtout de mes parents, des moments que je passais devant la télé avec eux. Je me souviens quand François Hollande a été élu, on avait célébré sa victoire, c’est vraiment le moment où j’ai eu le plus conscience de la politique et de ce que ça voulait dire. Dès lors, j’ai commencé à plus suivre ce qu’il se passait. Aujourd’hui, c’est surtout sur Instagram que ça se passe. Je suis des médias comme Brut, Vakita, des médias féministes et écolo… Beaucoup moins la télé, d’abord parce que je manque d’occasions. Quand je suis en pause au travail, je préfère ouvrir Instagram que la télé, c’est plus rapide et simple. Pareil pour la presse écrite j’en consomme très peu, hormis Le Monde, mais que je suis surtout sur Instagram. Mais ça m’arrive de regarder sur Internet si je cherche des infos. Je ne partage pas trop mes idées, et je m’exprime pas trop sur ça parce que je suis pas forcément super à l’aise de donner mon avis, étant donné que je ne suis pas experte en la matière. Mais je suis pour le militantisme en ligne, c’est très important, et ça permet aux personnes qui s’y connaissent pas trop de voir ce qu’il se passe et de se faire une opinion. Il s’agit surtout de pas trop se faire influencer par n’importe qui. Une des personnes que je suis beaucoup, c’est Hugo Décrypte. Tous les jours, il poste les quelques infos principales de la journée, et c’est rapide. J’ai pas non plus envie de regarder pendant une demi-heure les infos et d’entendre parler des gens. Sinon, je ne suis aucun politique sur les réseaux, et je ne fais pas de manifestations, je me contente de parler des sujets importants avec mes proches.”
Adrien, 20 ans, Paris, étudiant, Renaissance/Ensemble pour la République
“Les premiers souvenirs que j’ai de la politique remontent à la campagne présidentielle de 2017 et à l’élection de Macron. J’avais seulement 13 ans, mais on en parlait de plus en plus au collège, et mes parents regardaient sans cesse la télé. Eux votaient à gauche (pour Benoît Hamon, je crois), mais moi j’ai rapidement été intrigué par Emmanuel Macron et ce qu’il incarnait dans les images que je voyais de lui : un candidat jeune, classe, frais, dynamique, et qui promettait autre chose que la distinction gauche-droite que je trouvais bête, il y avait du bon des deux côtés. Donc, après son élection, j’ai commencé à le suivre, lui et d’autres de son parti, comme Marlène Schiappa ou encore Jean-Baptiste Djebbari, que je trouvais drôle sur les réseaux. Les y voir, que ce soit pour parler sérieusement ou faire des blagues, ça donne le sentiment d’être plus proche d’eux, que ce sont des gens comme nous – et ils le sont. Pareil quand Macron est venu dans une vidéo de McFly et Carlito, c’était du jamais-vu ! Je me souviens qu’on faisait que parler de ça au lycée. Bien sûr, ils ne doivent pas faire que ça, mais maintenant, on s’adresse aux jeunes de cette manière, ça ne me dérange pas. Aujourd’hui, ils le font tous, Bardella en premier qui gère ça assez bien. En Marche ! a juste su prendre les devants. Pour ce qui est de la presse écrite, ça ne m’intéresse plus tellement, je n’ai pas vraiment le temps de la lire. Il y a quelques mois, un ami m’a dit que si je trouvais un article qui m’intéressait, j’avais qu’à demander à ChatGPT de le résumer en quelques lignes. Depuis, je le fais parfois. Pareil pour la télévision, le principe de devoir regarder à une heure précise est trop contraignant. Mais il y a beaucoup de courts extraits qui sont postés après diffusion sur les réseaux, donc j’imagine qu’on peut dire qu’elle a encore son influence. Je dirais que je m’informe surtout sur les réseaux sociaux. Pas Twitter, parce que c’est trop haineux là-bas, mais TikTok et Instagram surtout, via les personnalités politiques que je suis – seulement celles avec qui je suis en accord donc – ou des influenceurs comme Hugo Décrypte. Son contenu est clair, concis, et on n’a pas besoin de rester dessus 15 minutes non-stop.
Nathan, 26 ans, Paris, consultant en informatique, Nouveau Front populaire
“J’ai commencé à traîner sur Twitter à partir de 2013, et il y avait quand même un degré d’opinion politique qui était plus ouvert que maintenant. J’y suivais l’actualité internationale, et c’était LA plateforme d’échange. J’essaie de faire un peu gaffe maintenant, parce que ça fait aussi un effet loupe, et vu que ce sont des plateformes qui misent sur l’engagement et mettent en avant des contenus assez extrêmes – notamment d’extrême droite –, ça peut devenir rapidement anxiogène. Maintenant, Instagram a pris le relais, je suis beaucoup de comptes politiques en plus des médias traditionnels comme Le Monde. Au bout de 10 ans à être sur Twitter, j’ai appris à faire confiance à des comptes en particulier, à construire quelque chose avec eux. J’essaie d’être éclectique, mais je ne suis pas exempt de biais. Je suis des comptes comme ceux de Marie Peltier, pour la crise en Syrie et le complotisme, ou encore Stéphanie Lamy, sur le féminisme et les dérives masculinistes de l’extrême droite. Ce qui est super aussi, c’est qu’on peut suivre des économistes comme Michael Zemmour, ou des médias comme Mediapart et Le Grand Continent. En général, quand je lis un article qui me plaît, je vais chercher si l’auteur a un compte sur Twitter, ce qui me fait découvrir d’autres personnes. Je trouve que c’est une bonne chose que tout le monde puisse avoir une voix aujourd’hui. Mais vu que c’est devenu très facile de se constituer une audience, avec TikTok notamment, n’importe qui peut avoir son quart d’heure de gloire, sans qu’on sache qui ils sont vraiment. Pour ce qui est de la télévision, je ne la suis quasiment plus, sauf au moment des élections. J’ai une critique assez forte du discours médiatique télévisuel, notamment sur la manière dont sont traités certains sujets. Il y a une forte emprise de l’extrême droite, avec Bolloré, CNews, Europe1, Hanouna, et c’est très problématique, parce que ça mène à une forme de criminalisation du discours de gauche.”
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