La chorégraphe flamande fait virevolter la période estivale avec sa reprise de “Così fan tutte” à l’Opéra de Paris, et avec la création d’“Il cimento dell’Armonia e dell’Inventione” à Marseille et à Montpellier.
À peine remis de la version XXL de Drumming proposée le week-end dernier aux Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, on savoure l’élégance et l’impertinence du Così fan tutte de Mozart que présente Anne Teresa de Keersmaeker au Palais Garnier. Deux reprises, pourrait-on dire, puisque la chorégraphe a créé Drumming sur une musique de Steve Reich en 1998, et Così fan tutte en 2017 à l’Opéra de Paris.
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Drumming XXL est dansé, pour une poignée de représentations, par une soixantaine de jeunes interprètes venu·es de trois écoles de danse (le Conservatoire national supérieur de danse de Paris, P.A.R.T.S. de Bruxelles et l’École des Sables de Dakar), et son immensité se mesure au nombre de corps revisitant cette pièce d’Anne Teresa de Keersmaeker, où le minimalisme de la structure, musicale et gestuelle, est source de variations multiples. Une danse en écho, qui se répercute d’un corps à l’autre tout en révélant la singularité de chacun·e.
Immensité minimaliste
Au Palais Garnier, c’est un gigantesque espace vide et blanc qui nous attend. À l’image du white cube, l’espace d’exposition dans lequel la chorégraphe situe son “laboratoire des amants”, repoussant les limites du cadre de scène. Ici, comme en amour, l’essentiel est invisible pour les yeux : également blanc et légèrement incliné vers le lointain, le plateau est recouvert de figures géométriques, des cercles et des spirales qui s’entrecroisent et forment la trame spatio-temporelle de l’expérience qui va se dérouler et démontrer avec élégance que les mouvements du cœur échappent à tout diktat. Le livret de Da Ponte met en scène six personnages – quatre amoureux, une servante et un maître du jeu, Don Alfonso, qui cherche à démontrer l’infidélité systématique des femmes, littéralement Così fan tutte. En l’espace d’une journée, les amants Guglielmo et Ferrando font croire à leurs bien-aimées Fiordiligi et Dorabella qu’ils partent à la guerre, puis reviennent déguisés pour les séduire par tous les moyens. Si elles résistent vaillamment au début, elles finissent par céder, n’en déplaise à leurs amants qui, au passage, changent de partenaire. Pour Anne Teresa de Keersmaeker, l’équation amoureuse de Così fan tutte peut se comparer à “un processus chimique : quatre personnages fusionnent tandis que le spectateur observe le résultat”. Sa grande et belle intuition consiste à découpler le geste et la parole en dédoublant chaque chanteur·se d’un·e danseur·se. Si la distribution des chanteur·ses n’est plus la même qu’en 2017, on retrouve les interprètes de sa compagnie Rosas qui nous sont si familier·ères. Comment oublier la première incursion d’Anne Teresa de Keersmaeker dans le répertoire mozartien, en 1992, avec Mozart/Concert Arias dans la cour d’honneur du Palais des papes, où l’on découvrait la danseuse Cynthia Loemij, qui double aujourd’hui le personnage de Fiordiligi ?
Symétrie, retenue, la ténuité du vocabulaire gestuel s’agrandit et prend le large à mesure que le précipité des émotions et des désirs se déploie et brise le carcan de la morale, donnant à ce dédoublement des interprètes une vivacité particulière. Pour le dramaturge Jan Vandenhouwe, l’éclairage de cette “expérience alchimico-affective du philosophe des Lumières Don Alfonso” passe par ce doublement des danseur·ses associé·es aux chanteur·ses, permettant l’apparition “d’une troisième voix visible, à côté de la musique et du texte, où la danse doit souligner la tension entre le texte tragicomique de Da Ponte et la musique de Mozart”. Un son où vibre le sentiment de la perte, indissociable en somme de l’élan du désir.
Così fan tutte, opéra buffa de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de Lorenzo Da Ponte, direction musicale par Pablo Heras-Casado, mise en scène et chorégraphie d’Anne Teresa de Keersmaeker. Du 10 juin au 9 juillet au Palais Garnier de l’Opéra de Paris.
Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, jusqu’au 17 juin.
Il cimento dell’Armonia e dell’Inventione, chorégraphie Anne Teresa de Keersmaeker et Radouan Mriziga, les 28 et 29 juin au festival de Marseille, les 1er et 2 juillet à Montpellier Danse.
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