Jack Pierson investit la galerie Thaddaeus à Paris en travaillant des lettres géantes dans un abécédaire ludique.
J’ai toujours eu un « faible » pour Jack Pierson – c’est à vrai dire le meilleur terme qui me vient pour désigner le rapport de tendresse que ses oeuvres entretiennent avec le spectateur. Du moins les plus emblématiques, au point qu’elles ont été maintes fois plagiées ou reprises par des magasins, des designers ou des particuliers : ce sont des mots simples, affectifs, narratifs aussi (« Desire », « Despair », « Romance », « Feelings ») composés à partir de vieilles lettres récupérées comme à la brocante – enseignes lumineuses de vieux cinémas des années 50, de diners new-yorkais ou d’anciens théâtres de Broadway.
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Apparues ultérieurement, ses photographies d’éphèbes au torse doré, ou ses vues de ciels et de palmiers californiens explicitent la dimension nettement gay friendly de son travail. Car l’homosexualité chez Jack Pierson, né en 1960 à Plymouth et qui partage aujourd’hui son temps entre New York et le sud de la Californie, n’est pas un thème, c’est un prisme, une focale, une certaine sensibilité – une manière « homosexuée » de voir et de dire le monde.
A la galerie Thaddaeus Ropac à Paris, comme il y a quelques mois chez Regen Projects à Los Angeles, l’artiste investit une nouvelle dimension, au sens propre du terme, en travaillant avec des lettres géantes installées dans l’espace d’exposition. En bois gris aluminium, ces immenses caractères encombrent la galerie principale, au point de rendre les mots « Dream » ou « Hope », ces « éternelles questions », d’abord méconnaissables.
Un grand H obstrue l’entrée, un P est posé à l’horizontale, tandis que A et D s’élèvent dans l’espace comme des architectures en béton. Dans ce Scrabble géant, dans cette aire de jeu linguistique, ou dans ce décor de cinéma hollywoodien, le spectateur se retrouve donc comme un enfant, dépassé par l’ordre du langage – infans disaient nos ancêtres les Romains, celui qui ne sait pas encore parler. Tandis qu’au fond de l’espace un grand « Yes » s’affiche clairement au mur, rappelant au passage le « Yes to all » de l’artiste Sylvie Fleury, mais surtout nimbant l’exposition d’une humeur positive.
Moins mélancolique que nombre de ses pièces antérieures, parvenant enfin à dépasser la nostalgie ornementale inéluctablement attachée aux vieilles lettresenseignes qui lui servaient jusque-là de médium, l’artiste touche au paradoxe d’un art à la fois minimaliste et maximaliste. Un art plus universel qu’abstrait, à la fois euphorisant et soft.
Jean-Max Colard
Ennui (La vie continue) jusqu’au 6 avril à la galerie Thaddaeus Ropac, Paris IIIe, www.ropac.net
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