Phénomène de l’été, “Stranger Things” n’est pas seulement une adorable série pleine de nostalgie 80s, de références à Spielberg et d’enfants tout mignons. Elle évoque des événements bien plus terrifiants qu’un Démogorgon, les manipulations tordues de la CIA. Attention, spoilers.
Épisode 3 : “Chief” Jim Hopper trouve enfin une piste intéressante. Will serait rentré via un tunnel d’égout sur les terrains des mystérieux laboratoires Hawkins. Accueilli froidement et confronté à des vidéos de surveillance trafiquées, il se rend à la bibliothèque municipale à la recherche d’informations sur le Dr. Martin Brenner, à la tête du centre.
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Fouillant dans les archives du Washington Post sur un lecteur de micro films, des boucles de synthés aériennes en fond sonore, il découvre qu’une femme, Terry Ives, a porté plainte pour enlèvement contre le scientifique et son staff dix ans auparavant. Les coupures de presse parlent de privation de sommeil. Les accusations sont jugées infondées et le procès est vite perdu. Pas suffisant pour le sheriff, qui décide trois épisodes plus tard de rendre visite à Mrs. Ives, accompagné de la mère de Will, incarnée par Winona Rider.
En état végétatif, Terry est plantée sur une chaise à bascule devant la télé. Clope au bec et yeux fatigués, sa sœur explique : “Elle a pris part à une étude quand elle était à la fac.” Ayant bien fait ses devoirs, Hopper connaît le nom du projet : “MK-Ultra”. Info confirmée : “Ça a commencé dans les années 50. Au moment où Terry a rejoint le programme, c’était censé se calmer mais les drogues sont devenues plus folles encore… ”
Face au duo affolé, la sœur continue : “Ça l’a bien déglinguée. On payait des gens comme ma sœur 200 balles, on leur donnait de la drogue, principalement du LSD, puis ils la déshabillaient et la mettait dans des caissons d’isolation sensorielle [ …] Ils voulaient repousser les limites de l’esprit.” Ce que Terry ne savait pas à ce moment, c’est qu’elle était enceinte d’une fille. Si les rapports officiels évoquent une fausse couche dans le troisième trimestre, le nourrisson fut bien enlevé, puis rebaptisé Eleven.
Mrs. Ives reste persuadée que son bébé est né avec certaines facultés telles la télépathie, la télékinésie et constitue “une arme pour combattre les communistes”. Bien vu. Si Hopper et Joyce semblent choqués par ces révélations, c’est que la masse de pop culture traitant du sujet leur était inconnue. Pas toujours cités en tant que MKUltra, des programmes de manipulation mentale sont évoqués chez Stanley Kubrick, notamment dans Orange mécanique et Eyes Wide Shut, chez Stephen King – sarcastiquement cité par la sœur de Terry dans la scène susnommée – mais aussi le thriller Complots avec Mel Gibson ou la saga Jason Bourne de Robert Ludlum.
Certes, l’idée d’un projet secret changeant des individus en armes à coup de psychotropes semble tout droit sortie du cerveau enfumé d’un geek adepte de théories du complot. Et pourtant, MKUltra a bel et bien existé.
LSD, électrochocs & radiations
Au milieu des années 70, la confiance des États-Unis en ses élites est ébranlée, surtout depuis la démission de Richard Nixon suite au scandale du Watergate en 1974. Cette année-là, le New York Times révèle que la CIA a mené des expériences illégales sur des citoyens américains. En réaction, le président Gerald Ford ordonne la création d’une commission d’enquête sur les activités de l’agence, connue comme commission Rockefeller, du nom de son vice-président. Le Congrès lance, de son côté, la commission Church, étudiant les activités de tous les organes de renseignement.
En 1976, un premier rapport révèle que MKUltra fut approuvé le 13 avril 1953 par Allen Dulles, alors directeur de la CIA. Malgré la destruction de documents en 1973, la commission réussit à mettre à jour de nombreux faits inquiétants. Officiellement, les études visant à modifier le comportement par l’usage de drogues démarrent par crainte que de telles pratiques soient déjà en cours dans le bloc de l’Est. Dès la fin des années 40, il est rapporté à la CIA que Moscou commence à produire du LSD. On redoute que des agents chimiques et biologiques soient utilisés en URSS durant des “interrogatoires, des sessions de lavage de cerveau, des attaques visant à harceler, annihiler ou tuer”. Ce volet défensif devient cependant vite secondaire.
Le rapport raconte que l’étude des agents chimiques et biologiques vise à “parfaire des techniques pour extraire des informations de sujets” et “développer des moyens de contrôle d’activité et de capacités mentales d’individus consentants ou non”. Ainsi, l’Agence se met elle-même à produire des matériaux prêts à l’emploi pour “harceler, annihiler ou tuer des cibles spécifiques”. Des cibles tel le militaire s’exprimant en russe approché dans le noir par Eleven dans Stranger Things.
L’une des premières salves d’expériences est conduite dans le Kentucky, au Lexington Rehabilitation Centre, une prison pour toxicomanes. Les détenus subissent des “électrochocs, des radiations”, sont confrontés à du “matériel paramilitaire” mais sont récompensés. Pas en argent, mais en drogue. Et celle de leur choix. Également soumis à au moins une des six substances créées par la CIA dès 1957, les cobayes ont de quoi être déglingués à vie, comme la mère d’Eleven.
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Rapidement, les prisonniers ne suffissent plus et la phase finale des tests au LSD va plus loin encore. D’après le rapport, des agents secrets administraient des doses à des sujets non volontaires dans la vie de tous les jours, nullement au courant de ce qui leur arrivait. Sauf s’ils étaient Mel Gibson dans Complots.
MKUltra aurait mobilisé durant les dix années de son existence avouée 185 chercheurs œuvrant dans 80 institutions à travers le pays, dont des universités, des hôpitaux et des laboratoires pharmaceutiques.
LSD, Cointreau et gaufres
En 1977, l’Amiral Stansfield Turner, directeur de la CIA, annonce que son agence a miraculeusement retrouvé 20 000 pages de notes sur MKUltra, ayant échappé à la destruction massive de preuves de 1973. Au terme d’une audition sénatoriale, Ted Kennedy prononce un discours grave, confirmant des révélations faites deux ans plus tôt : parmi les victimes du programme, on compte “au moins un mort”.
Le 18 novembre 1953, le Dr. Frank Olson, lui même chercheur et employé de la CIA, se rend à une conférence dans le Maryland. Il sirote un Cointreau et apprend, une fois la dernière goutte ingurgitée, qu’il contenait du LSD. Présentant des symptômes de paranoïa et de schizophrénie, Olson est conduit par son employeur à New York, afin d’y être soigné. Le 28 novembre il saute du dixième étage de son hôtel, malgré la présence d’un agent dans la chambre.
La famille, qui n’avait jusqu’alors aucune connaissance de la nature de la dépression éclair d’Olson demande des réparations. Le gouvernement propose une indemnisation à l’amiable à hauteur de 750 000 dollars. Offre acceptée. Pour autant, les enfants du docteur cherchent toujours des réponses. A la fin des années 90, l’un d’eux se rend en Virginie, dans une maison écolo habitée par un vieux scientifique, ancien collègue de son père. Le Dr Sydney Gottlieb, alors occupé à élever des chèvres et manger des yaourts tout en prêchant les valeurs de la paix et de de défense de l’environ, était quatre décennies plus tôt à la tête des recherches de MKUltra.
L’ancien espion ne révèlera rien aux enfants Olson. Pas plus qu’il n’expliqua quoi que ce soit aux multiples enquêteurs, prétendant ne pas vraiment se souvenir de cette époque. Les effluves de LSD, sans doute. Décédé en 1999, Gottlieb aurait officiellement quitté la CIA en 1972, assurant que ses travaux furent vains. En 1977, Ted Kennedy déclarait, lui, que les activités du programme ne présentaient que peu d’intérêt scientifique.
Si l’existence d’un enfant-arme aux pouvoirs télékinésiques est peu probable, les résultats des expériences menées par MKUltra demeurent flous. Comme les références à Spielberg ou Joy Division, le choix même du thème est pour les frères Duffer un énième hommage aux années 80. Seulement effleuré dans la saison 1, le sujet pourrait être développé dans le second volet, confirmé par Netflix et dont l’action se déroulera un an après la réapparition du petit Will. Et on saura quoi qu’il en soit pourquoi le sheriff Hopper laisse traîner des gaufres dans les bois…
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