Comment le tube “Modern Love” de David Bowie de 1983 a été d’un bout à l’autre le morceau le plus cité du festival – et pourquoi.
Troisième single de l’album Let’s Dance, Modern Love n’est pas un des morceaux les plus sidérants de David Bowie. Mais il a fini avec le temps par prendre un certain lustre. Le cinéma y est pour beaucoup. C’est bien sûr Leos Carax qui a le premier utilisé le morceau trois ans après sa sortie dans son second long métrage mythique, Mauvais sang (1986). La course athlétique et dératée de Denis Lavant, les stries multicolores d’un mobilier urbain stylisé, un travelling latéral grandiose : la scène est devenue la quintessence d’un esthétisme eighties, lyrique, exalté, hyper impactant visuellement.
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Si Modern Love a été la première chanson entendue pendant ce festival, dans une reprise élégante et narquoise de Zaho de Sagazan, ce n’est qu’indirectement lié à Carax. Car plus de vingt-cinq ans après Mauvais sang, Noah Baumbach a rendu hommage à la scène, à New York et en noir et blanc, dans Frances Ha (2012), avec Greta Gerwig en lieu et place de Denis Lavant. Si la cérémonie d’ouverture du Festival a diffusé l’extrait de Frances Ha comme piqûre de rappel avant le lancement de la version Zaho, aucune référence n’a été faite à la matrice caraxienne. Comme si le film de Baumbach devenait la source et invisibilisait celui auquel il avait d’abord rendu un hommage révérencieux.
Une salutaire lecture critique
Heureusement, Carax était là pour réparer cet oubli. Dans son moyen métrage réflexif, C’est pas moi, il s’auto-cite avec un extrait de son anthologique séquence Modern Love. Puis dans l’ultime scène de son nouveau film, il la reproduit, mais avec sa poupée Annette en lieu et place de Denis Lavant. C’est à la fois émouvant et drôle de voir une des scènes les plus copiées du cinéma de ses cinquante dernières années (citée par Frances Ha, mais pillée aussi par des dizaines d’autres films, des clips, des pubs) réappropriée par son auteur dans un auto-remake où il réinvente de façon brillante et radicale ce qu’il a créé. Si Denis Lavant était un génial pantin sans fil, la poupée Annette reproduit tous ses gestes mais avec, tapie dans l’ombre, une armada de marionnettistes cagoulé·es qui la manipulent.
Surprise : Modern Love s’invite aussi dans un autre film du festival, Vivre, mourir, renaître de Gaël Morel. Au début des années 1990, deux garçons (Théo Christine et Victor Belmondo), en pleine montée désirante, s’étreignent avec ardeur lorsque l’un des deux apprend à l’autre qu’il est séropositif. Le rapport sexuel s’interrompt, les deux se rhabillent. Ils courent dans la rue tandis que tonne encore Modern Love de Bowie. Même travelling latéral, même découpage : on craint l’hommage de trop. Mais soudain, la course s’interrompt devant un distributeur de préservatifs où les garçons s’approvisionnent pour reprendre ensuite leur acte sexuel. On se souvient alors que Mauvais sang, aussi splendide soit-il, est un film assez puritain, avec quelques phrases terribles (tourné en pleine explosion du sida, le film parlait tout de même de ce virus qui propageait la maladie de “ceux qui font l’amour sans amour !”). Cet énième pastiche par Gaël Morel n’est donc pas un hommage, mais une salutaire lecture critique. Et une vraie rectification historique : baiser avec ou sans amour dans les années 1980-1990, mais avec des capotes, c’était ça “l’amour moderne”.
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