Les New-Yorkais auraient pu surfer sur la gloire. Ils ont préféré
disparaître pour tordre un peu plus leurs tubes ésotériques. Critique et écoute.
Bons copains du MGMT millionnaire, surfant sous le soleil de Brooklyn exactement quand le borough new-yorkais était l’épicentre mondial du cool, squattant les podiums, glaçant le papier magazine et remplissant les blogs people grâce à l’iconique (et adorable, et francophone, et belle à mourir) Caroline Polachek, Chairlift aurait pu, sans forcer, passer les quatre ans qui ont séparé Does You Inspire You (2008) du nouveau Something à biberonner son embryon de gloire.
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Il aurait suffi aux originaires de Boulder, Colorado, signés chez Columbia, d’enquiller les tubes pop – comme cet increvable Bruises, utilisé par Apple dans l’une de ses pubs. Sauf que le parcours des trois jeunes gens n’a pas été aussi doré qu’il n’a paru. Le groupe, en fin de tournée, a perdu Aaron Pfenning, l’un de ses cofondateurs. “Il y a une vidéo qui explique assez bien à quoi, sur la fin, ça pouvait ressembler, confie Polachek. Un concert en Australie, le dernier avec Aaron. On nous voit, Patrick et moi, jouer torse nu, avec simplement du Scotch rose sur les tétons. On termine Bruises dans une grosse jam rock un peu informe. Je joue de la batterie, sauvage et à moitié nue, Patrick se roule par terre en jouant de la basse. Et, plus loin, très à part, Aaron est assis, totalement habillé, en train de détruire sa guitare, l’air totalement malheureux : le groupe était déjà coupé en deux.”
Le groupe est également trop indépendant d’esprit pour se faire happer par la normalité. A la surexposition, il a préféré la disparition. Longue : dix-huit mois de studio, d’essais, d’erreurs, d’intense labeur. “Les choses étaient devenues, avant cette ‘disparition’, avec le début de célébrité, un peu compliquées, explique Caroline. Tu manges un bout d’asperge quelque part, et deux heures après ça se retrouve sur un blog… Alors qu’en studio tout le monde se foutait de ce qu’on pouvait faire. On a essayé des milliers d’idées. Des chansons ont été enregistrées des dizaines de fois. Nous avons quatre versions différentes pour l’une d’elles, qui n’est même pas sur l’album.”
Le premier morceau à sortir des deux cerveaux rescapés, ceux de Caroline Polachek et de Patrick Wimberly, fut le violent et cinglé Sidewalk Safari. “Une chanson qui parle de chasser des gens et de leur rouler dessus, dans une ville, en 4×4”, se marre Polachek – on est loin du lissage FM d’un groupe cherchant le platine à tout prix. Le premier single, lui, fut l’extraordinaire Amanaemonesia, modèle d’efficacité pop universelle mais aussi et surtout, d’ésotérisme textuel absolu.
Le reste de Something est à l’image, trouble et passionnante, de ces deux morceaux : efficace et piégeur, immédiatement tubesque mais freak en différé, en montagnes russes entre le synthétique luisant des 80’s et les expérimentations discrètes, entre un clinquant quasi vulgaire et des mélodies indécollables, chantées dans le sublime. Il dévoile sa beauté sans attendre – seuls les plus patients auront droit à ses poisons.
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