Basketteur, cuisinier, marin, compositeur. Romain Delahaye, alias Molécule, amarrait son vaisseau ce week end au festival Cabaret Vert. Rencontre avec un artiste plein d’idées singulières et de talents scéniques qui tabassent.
Le Soleil est brûlant. À Charleville-Mézières, pour la douzième édition du Cabaret Vert (94 000 festivaliers réunis en quatre jours), les températures sont exceptionnellement chaudes. Samedi 27 août, le site est bouillant. Derrière la grande scène, où viennent de jouer les Gascons de The Inspector Cluzo, se cache une clairière magnifique, fraîche et ombragée, en bord de Meuse (le fleuve local), où l’on retrouve installé sur un siège de fortune Romain Delahaye, alias Molécule.
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Habitué des grands espaces, le Français nous raconte une expérience hors du commun, tout droit sortie d’un rêve. Le sien. L’homme s’est embarqué dans une quête solitaire, presque mystique, pour « échapper au système et à la monotonie du studio », qui l’a conduit pendant 34 jours sur un chalutier au large de l’Atlantique nord dans des conditions sauvages (accompagné par les équipes de l’émission Thalassa). Une folie furieusement passionnante, 20 ans après une carrière de basketteur malheureusement écourtée (blessure à 17 ans alors qu’il évoluait au Paris Basket Racing). « Je voulais bousculer mon confort de vie et m’adapter à de nouvelles conditions que je ne maîtrisais pas, explique-t-il. Parmi elles, le mal de mer, les mouvements du bateau, la concentration parfois difficile à tenir. »
« Des tempêtes de force 12 »
Dans ces conditions, son pari semble fou : composer sur ses propres machines embarquées – à l’image de Thylacine et de son voyage à bord de l’Orient Express – un album aussi conceptuel que léché, à la lisière de la techno, mais d’une techno particulièrement riche – lui qui a si longtemps multiplié les collaborations dans un registre beaucoup plus doux. « Sur l’eau, le contexte sonore était très particulier. J’étais équipé d’un micro pour capter des sons. Sur le bateau, j’étais en mode guerrier. Je composais sans aucun recul. »
Intitulé 60°43’ Nord, le disque est constellé de détails sublimes, tous très libres et remuant comme les vagues, parfois très dures avec lui durant ce voyage pas seulement initiatique. Confronté à des conditions météorologiques infernales – « On a essuyé des tempêtes de force 12, des murs d’eau de 15 mètres de haut, qui empêchent même de travailler les pêcheurs les plus aguerris » – Romain aurait pu revenir bredouille. « Je suis parti en bateau (Le Joseph Roty II – ndlr) sans savoir vraiment si j’allais revenir avec quelque chose. Cela donne un résultat incisif, très brut. »
« Techno populaire »
Déjà percutants sur disque, les morceaux le sont encore plus en live (ici, sur la scène Les Illuminations du festival ardennais), pour un ensemble incroyablement visuel, avec de formidables images filmées sur l’océan par le vidéaste Gauthier Houillon.
Des flashs offerts au cours d’une traversée scénique épique (après avoir posé l’ancre une cinquantaine de fois, dont un passage aux Transmusicales de Rennes en décembre dernier), épileptique même, où les éclairs, les courants, les couloirs du bateau se posent en fond sur des montées sonores fracassantes, maîtrisées de bout en bout, tout au long d’un set sur le fil (de pêche), d’une grande originalité et par-dessus tout déroutant.
On prend une claque. « Sur scène, j’aime laisser une place au hasard. Un peu comme quand je cuisine. » Une cuisine très personnelle et pimentée, pleine de messages subliminaux, de cadences follement accessibles. « La techno doit rester populaire », dit-il. Comme une bouteille à la mer fissurée mais bien solide, larguée dans une fosse conquise. Au Cabaret Vert, inutile pour Molécule de parler en morse pour accrocher la foule: elle était hystérique.
Concert le 20 octobre à Paris (Gaîté Lyrique)
Album 60°43’ Nord (Mille Feuilles/Because) disponible
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