Derrière le succès de Metronomy ou Hot Chip, une génération de Britanniques continue son formidable travail de rénovation de la pop music. Visite de trois groupes sans limites, sans dogmes et sans frontières. Critique et écoute.
DJANGO DJANGO, la musique mosaïque
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C’est dans un petit réduit de l’Est de Londres avec instruments bricolés et vinyles amochés que l’on retrouve le premier groupe de cette fausse famille. Les quatre garçons de Django Django semblent pourtant contents : c’est toujours mieux que la chambre minuscule du batteur Dave Maclean où ils ont enregistré leur premier album, chacun son tour faute de place. “Quand on vit dans un espace aussi petit, avec fenêtre sur le néant, on est obligés de faire une musique qui voyage”, dit-il. Le premier album de Django Django, attendu depuis deux ans, ne s’en prive pas : musiques égyptiennes, pop californienne, folklore africain, electro spatiale ou rockabilly des cavernes y fricotent en toute sensualité.
Cette musique est aussi l’histoire du groupe : un hasardeux mariage de raison qui a tourné à la passion, celui du batteur et surtout producteur David Maclean avec le chanteur et guitariste Vinnie Neff. “A l’origine, je bricolais de la musique dans ma chambre, se souvient Maclean. Des trucs electro ou dub très complexes mais frustrants : il n’y avait pas la moindre mélodie. Pendant ce temps, Vinnie composait mais ignorait tout de la production.” C’est aux beaux-arts d’Edimbourg que Vinnie et Dave commencent à ajuster leurs deux mondes, vite rejoints par les claviers fantasques de Tommy Grace. L’alchimie fonctionne et le groupe sort un premier single qui affole l’industrie, Storm/Love’s Dart. La suite sera moins explosive : incapable de déléguer et refusant de laisser sortir une chanson sans en avoir exploré toutes les possibilités, le groupe s’enterre dans sa maniaquerie et son studio. Puis il perd des chansons dans le crash d’un disque dur et doit se passer de son cerveau, alité pendant des mois pour un problème de dos.
Au lit ou pas, Dave passe de toute façon sa vie dans sa chambre à assembler sur son ordinateur des heures d’enregistrements, sons et embryons. “J’ai parfois peur que les autres me retrouvent un jour hébété dans un bac à sable avec un casque de pompier sur la tête et entouré de mes instruments, comme Brian Wilson.”
Précisons que Dave est le frère de John Maclean, clavier du Beta Band – groupe séparé mais toujours aussi vénéré par les musiciens que méconnu du grand public. Depuis une adolescence passée sur la route avec le groupe de son frère, Dave en connaît donc un rayon sur les productions fantasques et le psychédélisme enchanté. “Nous passions notre vie à parler musique et à nous faire des mixtapes. L’album reflète ça : c’est plus une mixtape qu’un album cohérent, et donc prévisible, et donc chiant. J’adore le vertige de la feuille blanche. Rien ne me plaît plus que de me retrouver sans repères. Les possibilités sont infinies quand on vit dans son imagination.”
Une déclaration de foi que pourrait partager notre deuxième étape : Breton.
JD Beauvallet
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2011 vu par Django Django par lesinrocks
BRETON, le collectif frénétique
Même éducation en art school, fascination identique pour le vide et les mixtapes chez les jeunes Anglais de Breton, qui vivent eux aussi en autarcie dans un bunker de l’Est londonien. Les cinq garçons travaillent et habitent ensemble, enfermés dans leur Lab, squat officiel dans une banque désaffectée. “Un immense complexe dont les pièces ont chacune une fonction : celle où on dort, celle où on filme, celle où on enregistre. Un endroit totalement coupé du monde.”
Roman Rappak, leur leader, nous explique dans un français excellent qu’ils y ont déjà composé cent soixante morceaux dont onze figurent sur leur premier album, Other People’s Problem. Cette frénésie, Roman la cultive également pour les interviews. Avec un débit mitraillette, il articule des centaines d’idées et de concepts dans un ordre parfait, redessinant l’histoire et l’avenir de l’art et de la musique, passant de Truffaut à Soundcloud, de Portishead au philosophe Walter Benjamin. Rappak a vraiment beaucoup de choses à dire et encore plus à exprimer.
Grand groupe de scène, Breton est surtout un collectif multimédia, avec cinq types qui s’occupent aussi bien de leur musique que de leurs films (superbes), de leurs T-shirts que de leurs installations, de leurs livres que de leurs documentaires, de leurs remixes que des pochettes de leurs disques. “La musique représente le véhicule le plus efficace pour transmettre une idée. On a commencé par des films mais aucune structure ne voulait les diffuser. Ça aurait pris des années. On s’est dit : créons un groupe, on passera les films ou on montera des installations en jouant nos morceaux, on aura au moins mis le pied dans la porte. Et ça a marché.”
Cette insularité, cette première approche de la pop-culture, de sa construction et de sa déconstruction, Rappak l’a apprise gamin, en Pologne, où il a passé son adolescence. “En Grande-Bretagne, mes potes étaient tous d’accord sur ce qui était cool. Un gars cool leur disait ce qui était cool et tous suivaient le chemin. En Pologne, je n’avais plus aucune idée de ce qui se passait. Je ne savais pas ce que j’achetais, des pirates de The Cure et Faith No More, Portishead et Hendrix, Talking Heads et Massive Attack… J’écoutais tout à la suite, je faisais des mixtapes, sans le contexte et la pression sociale qui peuvent exister pour un gamin anglais.”
Avec ses morceaux fous et excitants, urbains et rock, qui font entrer en collision l’electro et la pop, les beats et les cordes, le chant et les slogans, Breton a inventé sa propre zone d’autonomie – chose rare dans un monde de standardisation. Exactement ce qu’a également réussi à créer We Have Band, troisième band à part de notre sélection.
Thomas Burgel
WE HAVE BAND, la pop déconstruite
Les trois Londoniens de We Have Band vivent eux aussi en autarcie dans un studio-laboratoire. Il y a deux ans, on les avait découverts sur une compilation Kitsuné Maison avec Hear It in the Cans, ritournelle electro-Velcro. Le groupe publiait dans la foulée WHB, premier album plein de promesses qui brassait dans la joie l’electro-pop joueuse de Hot Chip, le rock angulaire des Talking Heads et la no-wave new-yorkaise des eighties. “On avait commencé la musique pour le fun, explique le groupe. On ne pensait pas que quelqu’un pourrait jamais écouter nos chansons. Chaque fois qu’on nous proposait de faire un concert, c’était une surprise. Du coup, le disque est sorti assez vite et ressemblait davantage à une collection de titres de l’époque qu’à un véritable album. Le nouveau, Ternion, on a voulu l’envisager comme une œuvre à part entière. C’est presque notre premier album.”
Pour agencer Ternion, le trio s’est payé les services de Luke Smith, producteur du dernier disque de Foals. Dès les premières déflagrations soniques de Shift, Ternion impressionne : on pense au Bloc Party des bons jours, au psychédélisme tribal de MGMT. Basculant entre punk-funk et electro-pop synthétique, ballades pensives et petits tubes gigoteurs, c’est un album multiple, presque schizophrène. “Il a plusieurs facettes, confirme la chanteuse Dede. Il reflète les différents états par lesquels on peut passer lors d’une tournée interminable. A la fin, je ne dormais plus. Ce fut douloureux mais passionnant car nous nous sommes découverts. Sur scène, je deviens folle, sauvage. Je grimpe sur les amplis, je crie. C’est une métamorphose car je suis plutôt timide.”
Plus encore que celle d’une métamorphose, We Have Band raconte l’histoire d’une transmutation. Avec Luke Smith, le groupe a troqué laptops et boîtes à rythmes pour s’enfermer dans un studio londonien rempli d’instruments vintage et d’équipement à l’ancienne. “On a chanté et dansé ensemble dans le studio sur les ordres de Luke. C’était un atelier, un laboratoire presque.”
Le labo : un mot parfait pour définir We Have Band, groupe symptomatique de la génération post- LCD Soundsystem. Comme Hot Chip ou Metronomy, comme Breton ou Django Django demain, We Have Band appartient à cette famille d’artistes qui n’a que faire de caresser la pop dans le sens du poil et trouve au contraire son plaisir à la contredire, la tirailler, voire carrément la déconstruire. Ces groupes, en somme, proposent le contraire d’Oasis et Coldplay : il faudrait pour eux inventer la victoire du “meilleur décompositeur” de l’année.
Johanna Seban
Django Django en concert ce soir à la Boule Noire (Paris)
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