Emmanuel Alias de son vrai nom vient de sortir son deuxième album, “Embrace Chaos”. Depuis Montréal, il est revenu pour nous sur son parcours, son goût pour le mélange des genres et pour l’horreur. Et ce, quelques jours avant d’investir la scène des Inrocks Super Club, où il se produira le 24 avril, à Paris.
Rares sont les artistes doté·es du don d’ubiquité. Entendre : parvenir à nous embarquer en terres psychédéliques d’abord, avant de faire un détour par le dance-punk ou le hip hop, puis filer tout droit vers le trap metal – et ce, tout au long d’un même album. Ambitieux, certes, mais résolument enthousiasmant pour nos oreilles avides de découvertes. Alors lorsque l’on écoute Alias, on se dit qu’il a su viser juste. Parfaitement juste.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Par où commencer, le concernant ? Quel fil tirer pour réussir à détricoter cet amas sonore fait de pédales fuzz, voix hallucinées et énergie viscérale ? Le musicien dit aimer le chaos, tentons d’écrire un papier fidèle à son goût.
L’art du mélange, la soif de désordre
Alias – Emmanuel Alias de son vrai nom – est un artiste de Montréal puisant, dit-il, aussi bien dans les guitares distordues du post-punk que dans les textures électroniques de LCD Soundsystem ou la finesse mélodique de Thom Yorke, compositeur qui “peut te sortir de la musique de film, ou bien très modulaire, très électronique, très perchée”. Artistes qu’il écoute au quotidien et qui nourrissent sa musique à lui, forcément.
Car ce ce qu’Alias aime par-dessus tout, c’est bien les mélanges, d’autant plus lorsqu’ils sont conjugués à l’inattendu. “J’adore qu’on me serve un truc différent à chaque fois, avec plein de saveurs différentes”, glisse-t-il à ce propos, vantant les mérites de Tyler, The Creator ou Jack White des White Stripes. Il se plaît aussi à rêver de featurings inopinés, à l’instar d’un duo Joe Talbot – Kendrick Lamar ou encore Mac DeMarco – Domi & JD Beck… C’est vrai que ça aurait de la gueule.
Prémices jazz
S’il s’est lancé en son nom dans le marasme de l’année 2020, Alias n’est pas né de la dernière pluie. C’est par le jazz qu’il s’est rallié à l’écosystème musical, genre qu’il détestait à son arrivée au conservatoire et qu’il “[a] commencé à apprécier dix ans plus tard, quand [il en est] sorti”. Cette éducation fait sans doute sa force aujourd’hui (bien qu’elle ait été un peu subie, donc). “J’ai quand même bénéficié des outils pour comprendre le jazz, son histoire, le langage pour saisir comment un morceau et ses grilles fonctionnent. J’imagine que ça a aiguisé un petit peu mon oreille, je ne sais pas”, avance-t-il.
“Peut-être que j’aborderai le jazz quand j’aurais une voix totalement défoncée par le whisky à 65 ans”
Pour autant, Alias l’assure : le jazz n’apparaît pas dans la musique qu’il façonne. “C’est un style exigeant”, justifie-t-il avec prudence, jugeant que la rencontre entre la pop et le jazz est “souvent mal [faite]”. Et de s’esclaffer : “Peut-être que j’aborderai ce style quand j’aurais une voix totalement défoncée par le whisky à 65 ans et que j’aurais quelque chose de vraiment intéressant à raconter sur ma vie !”
“Créer quelqu’un”
Car la musique est une histoire de récits. Alias ne dirait sans doute pas le contraire, lui qui a choisi d’emprunter le chemin de la fiction dans son premier disque, Jozef, “album-concept un peu thématique” – à défaut de déverser ses propres états d’âmes dans ses textes. Par pudeur, il en convient. “Au tout début du projet, j’ai écrit un album où j’ai raconté des choses très personnelles, des problèmes de famille, de cœur, des incertitudes, comme dans un journal intime. J’ai fait un seul concert et je n’assumais pas du tout, alors j’ai foutu l’album à la poubelle, on ne peut plus l’écouter aujourd’hui, confie-t-il. Ça me bridait, j’étais obligé de me mettre à nu et si j’avais dû le faire 50 fois, je serais devenu fou donc je n’écris pas directement à la première personne sur ma vie.” “J’y reviendrai peut-être, mais en étant plus mature. J’ai peut-être besoin de ça, de grandir un peu”, s’amuse-t-il.
“Tout ce qui fait peur est fascinant, c’est comme les requins blancs”
Le temps de prendre du galon, le musicien s’est attelé à “créer quelqu’un” : un personnage du nom de Jozef. Un type ordinaire ? Non, pas vraiment. Plutôt un serial killer à la psyché orageuse, fruit de sa passion pour les films d’horreur et la série Mind Hunter. “Tout ce qui fait peur est fascinant, c’est comme les requins blancs”, lâche-t-il d’un ton badin.
Tout de même, n’y aurait-il pas là comme un désir pernicieux de se rêver en criminel, avec subtilité ? On s’est permis de lui poser la question, la réponse – délivrée entre deux éclats de rire – nous a rassurés. “C’est vraiment plus un personnage qui vit ses émotions à 2 000% dont je me suis servi pour raconter des anecdotes de ma vie de manière imagée, mais ça n’est jamais violent dans les lyrics ni dans les images que j’ai voulu mettre en avant”, s’épanche-t-il. Et de renchérir : “C’est comme si c’était un film d’horreur réalisé par Pixar !” Ouf.
Merci au revoir, les guitares
Une idée directrice qui s’est traduite, en musique, par une densité de sons, d’effets et diverses influences – on le mentionnait déjà plus haut. Mais voilà : un an et demi après la sortie de Jozef et une flopée de concerts assurés, Alias a eu comme une envie de passer à autre chose.
“Je suis éternellement insatisfait, reconnaît-il. T’as les cheveux courts tu veux les cheveux longs, t’as les cheveux longs tu veux les cheveux courts !” Métaphore capillaire pour signifier qu’après avoir usé (sans jamais abuser pour autant) des pédales fuzz et aspergé ses morceaux de couleurs psyché, il s’est totalement délesté des guitares pour la suite. Quant à sa tignasse (puisqu’il en parle), elle lui arrive aux épaules et, information cruciale qui nous offre une brève incartade, sera teinte en bleu lors de son passage aux Inrocks Super Club, le 24 avril à Paris.
Envies de changement à tout point de vue, donc. “Avec Jozef, j’en ai bouffé des prises de guitares, des sons fuzzy, des grosses distorsions… J’ai voulu faire une pause de ça […] Peut-être que je m’éloigne des clichés rock”, analyse-t-il, pointant la récurrence de la structure instrumentale du genre.
“Je pense qu’il y a du positif dans le chaos et qu’il faut le laisser s’exprimer des fois”
Hypothèse qui se vérifie : Embrace Chaos, son nouveau disque paru le 19 avril, a été composé sans une once de guitare. “C’est vraiment fait à partir de synth passés dans des pédales fuzz, d’arpégiateur, de modulaires, de drums, c’est très ambient et très rythmique, je voulais que cela fonctionne bien ensemble sans mettre de couches en plus”, explique l’artiste. Comment décrire ce second album ? “Chaotique, badine-t-il. Parce qu’il y a plein de styles mélangés, rap, dark pop, hyperpop, dreamy pop…” Et de poursuivre : “C’est un gros bordel de plein d’émotions que tu as en toi, puis que tu laisses sortir d’un coup. Je pense qu’il y a du positif dans le chaos et qu’il faut le laisser s’exprimer des fois, le laisser prendre le contrôle de nos actes ou de nos paroles.”
Heureux maëlstrom
Un chaos d’où jaillit, pour ce second disque, une douzaine de titres taillés pour la scène : en concert, Alias veut “que ce soit plus violent, plus sauvage […] un cran plus fort, plus bordélique et distorsionné”. Car “voir un show parfait qui ressemble à l’album, ça [le] fait chier”. Lui préfère les aspérités et les erreurs, qui “te font comprendre que tu as des humains en face de toi […] et qui donnent un côté réel et organique au live”. La scène est ainsi un espace de liberté où Alias se plaît à performer avec légèreté. “J’aime bien m’y déguiser, au sens littéral : je rentre dans un personnage et je m’amuse, c’est plus du théâtre qu’autre chose”, livre-t-il.
Qui dit nouvel album dit nouvelle direction artistique : Alias va troquer sa combinaison rouge – enfin celle de Jozef, qu’il revêtait à chaque concert jusqu’à présent – contre “un style beaucoup plus éclaté”, constitué de reliques d’un de ses voyages à New York. Ville où, il l’assure, “les gens sont très inspirants et sans limites dans leur style”. À lui les grillz et les joggings pour cette nouvelle tournée, donc, laquelle s’ouvrira d’ailleurs par son escapade à Paris.
Une échéance qui se rapproche et pour laquelle il essaie de se conditionner. “C’est un peu comme préparer un match de boxe : tu te prépares un peu mentalement, et une fois que tu y es, y a plus rien d’autre qui existe que ça. Là, j’essaie d’avoir une vie saine, pas trop boire, bien manger”, raconte-t-il. Nul doute qu’il sera prêt à chausser les gants et monter sur le ring de La Boule Noire, mercredi 24 avril. Avec, sous le coude, le précepte “Embrace Chaos” plutôt que le désir de nous mettre K.O.
{"type":"Banniere-Basse"}