Parrain du blues lusophone, l’Angolais Bonga revient avec un album – son trentième – acoustique, roots et chaud comme le carnaval à Luanda. Critique et écoute.
En reconstruction après trente ans de guerre civile, Luanda vit ces jours-ci dans l’euphorie des préparatifs de son carnaval. Chaque quartier de la capitale angolaise répète les chorégraphies et compose les musiques qui rythmeront la parade du mardi gras sur l’avenue Marginal, principale artère de la ville. Bien plus au nord, depuis Lisbonne, Bonga s’apprête à rejoindre la fête en portant les touches finales à la chanson qu’il ira interpréter pour l’occasion, lors du défilé.
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A 69 ans, le chanteur à la voix éraillée, parrain du blues de l’Afrique lusophone, multiplie les voyages au pays depuis la fin du conflit, il y a une dizaine d’années. Ce sera aussi pour lui l’occasion de rappeler quelques vérités, qui sont l’objet de son nouvel album, Hora kota (“L’Heure des sages”), dont 20 000 exemplaires ont déjà été vendus en Angola.
“Plusieurs morceaux parlent du carnaval, il était primordial que le disque sorte là-bas avant cette manifestation, précise ce héraut de l’indépendance aujourd’hui voix de la diaspora angolaise. Dans ma jeunesse, le carnaval était étroitement contrôlé et parfois interdit par les colons portugais parce que c’était pour nous le moment de manifester nos coutumes et notre insoumission. Il n’a rien perdu de son caractère subversif. C’est l’heure des bidonvilles, dont les habitants chantent des satires en kimbundu (langue autochtone de la région de Luanda, non reconnue officiellement en Angola – ndlr), sur des rythmes de kazukuta et de semba (ancêtre de la samba brésilienne – ndlr).” Mobilisant une batterie de percussions similaires à celles que l’on trouve au Brésil, Bonga décrit ainsi la “fine fleur du chahut des rues de Luanda” sur Carripana. Un autre morceau rend hommage à Malé Fontes Pereira dit Fontinhas, premier chorégraphe et compositeur historique du carnaval de Luanda, “notre Maurice Béjart à nous, qui n’est jamais sorti d’Angola et croupit dans l’oubli”. Preuve encore que cette bacchanale n’est pas étrangère à la critique sociale, les Angolais ont déjà fait un tube du titre Kambua, sur l’inégalité entre deux chiens, l’un dont le maître est pauvre et l’autre riche.
Renonçant au synthé qui entachait plusieurs de ses dernières productions, Bonga renoue avec la verve et le charme acoustique de ses premiers albums mythiques, Angola 72 et Angola 74. Ce second révéla notamment la chanson Sodade, qui vingt ans plus tard fit de Cesaria Evora la star que l’on sait. “Personne ne l’avait enregistrée mais beaucoup de Capverdiens chantaient déjà cette chanson à l’époque, quand je vivais en exil à Rotterdam. Il était légitime, et pour moi un honneur, que Cesaria la reprenne à son tour. D’autant que nous avons eu l’occasion de la chanter sur scène en duo, au Coliseo dos Recreios de Lisbonne, un grand moment de ma carrière.”
Autre souvenir, autre duo, une nouvelle version de Mona Ki Ngi Xica, l’hymne de Bonga, repris l’an dernier avec Bernard Lavilliers sous le titre Angola, figure en bonus de Hora kota. L’occasion pour les non-lusophones de s’initier, via l’adaptation du texte qu’en offre le Stéphanois, aux problématiques posées par Bonga. “L’Angola regorge de pétrole et de diamants mais j’aimerais que les Occidentaux qui s’y intéressent en retirent autre chose. ‘L’heure des sages’, ce n’est pas qu’un mythe et du folklore. Les vieux sont très importants en Afrique, c’est un mode d’éducation, une philosophie de vie, une richesse que nous pouvons partager, à condition bien sûr de la préserver.”
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