Pilier de France Culture, Arnaud Laporte va inaugurer lundi la sixième saison de « La Dispute », l’émission quotidienne (21h-22H) qui brasse l’actualité culturelle de façon critique. Portrait d’un insatiable.
Il dit : « Je m’intéresse à tout. Je lis tout, j’écoute tout, je vois tout. Sauf les faits divers, ça me remue trop.” Un curieux, un érudit, Arnaud Laporte, un sensible aussi. Il porte une chemise bariolée, sa signature, il est tout bronzé, il a fait la tournée des festivals, Avignon, Aix, Arles, et puis un tour à Montpellier, son fief – bel été.
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Les arts, il les aime tous, faut pas lui demander de choisir – « c’est trop dur ». Dans son émission, chaque soir, une discipline est passée au crible de journalistes critiques : spectacle vivant, cinéma, arts plastiques, musique, littérature. En plus d’animer la discussion, le chef d’orchestre s’autorise de plus en plus à donner son propre avis. Non pas sur les artistes (au risque, avéré, d’insultes et autres menaces), mais sur leur travail. Arnaud Laporte, 51 ans, dont presque trente passés à France Culture, dit : « Aujourd’hui, j’assume : je suis critique. Et je suis légitime.” Il était temps.
« La vraie vie »
Son intérêt pour l’art et la culture remonte à la petite enfance. Son père, Roger Laporte, est un grand écrivain – « immense, dit Laure Adler, trop méconnu ». Arnaud l’admire. Beaucoup. À Montpellier, où ils habitent, le père reçoit des confrères, des philosophes, des artistes. Le jeune garçon écoute, absorbe. Il va au musée, aux expos à Saint-Paul-de-Vence. Il lit énormément, en suivant les recommandations de papa. Dès l’âge de 10 ans, il fréquente seul le ciné-club, ne rate jamais Le Cinéma de minuit. Et déjà, il fait des fiches sur les films qu’il voit, leur accorde ou non des étoiles, critique en herbe.
Ce qu’il veut faire quand il sera grand ? « Je voulais écrire un livre. L’adapter au cinéma. Et aussi composer la musique. Et tant qu’à faire, dessiner l’affiche ». Il est bon élève, passe un bac de langues. Mais après ça, s’il s’inscrit à la fac – plusieurs fois – il ne passera jamais un seul partiel. » Pourquoi ? Il dit : « Parce que la vraie vie est ailleurs.” La vraie vie, elle est dans la musique. Dans la cold wave, le rock, il écoute Joy Division, The Cure, Wire, Sisters of Mercy, Mecano… Il joue – « mal » – de tous les instruments : clavier, batterie, basse, guitare. Il chante. Il fonde des groupes. Arnaud rigole : « Avec des noms pathétiques, At Night, ou encore Les Agents… ».
La vraie vie, elle est dans les images, il peint, elle est dans les mots, il écrit des textes, des nouvelles, sous l’influence de ses deux grands maîtres, Thomas Bernhard et Italo Calvino. La vraie vie, elle est à la radio, il écoute France Culture à longueur de journée – « ça finissait par La Marseillaise, c’était drôle ». Il a vingt ans. Il rêve de maisons d’éditions, de musées, de théâtres, d’expos à tout-va, de cafés enfumés, d’effervescence intellectuelle. Il se dit que la vraie vie, elle est à Paris.
« Habité par l’art”
Il atterrit boulevard de Ménilmontant, dans un « tout petit truc », au-dessus d’une station-service et d’un kebab. On n’entend plus les cigales. Des petits boulots pour payer le loyer. Grâce aux contacts de son père, il fait le tour des maisons d’édition, devient lecteur. En janvier 1987, Alain Veinstein, la voix des nuits de France Culture, qui lui aussi connaît bien Roger Laporte, lui propose de remplacer sa secrétaire. Arnaud dit oui. Mais au début, c’est standard téléphonique et photocopies – les cinq premiers mois lui paraissent interminables. Presque trente ans après, il y est toujours.
Après Alain Veinstein, il devient l’assistant de Laure Adler. Elle dit : « Il a partagé notre vie. Il était doué, passionné ». Puis c’est Laurence Bloch, qui produit alors l’émission Le pays d’ici, qui le fait travailler. Il dit : « Je lui dois beaucoup ». Elle dit : « Je l’ai intégré à ma troupe. Il a appris ce qu’était la radio : du terrain, du reportage, du direct, de l’imagination ». Elle se souvient d’un jeune homme « habité par l’art, qui se recentrait toujours sur le culturel ».
En parallèle, Arnaud Laporte réalise des documentaires, travaille toujours un peu pour des maisons d’édition. A la fin des années 90, Laure Adler est nommée directrice de France Culture. Elle lui confie une émission quotidienne consacrée à la culture émergente. Laure Adler : « Il était parfait pour ça. Il s’intéressait aux jeunes, aux friches. C’est un découvreur ». Trois ans plus tard, la directrice lui donne les clés des débuts de soirée. En 2005, David Kessler la remplace à la tête de la station. Arnaud Laporte : « A ma surprise totale, il m’a proposé de reprendre l’émission du midi, Tout arrive. J’étais sonné. Je me suis demandé si j’en étais capable ».
« Parfois je me dis que la situation décline à grand pas »
Il dit : « Je ne suis jamais rassuré, j’ai l’impression de n’avoir jamais assez travaillé.” Et pourtant, il bosse. Dur. Beaucoup. Tout le temps. Il mène ses interviews et discute des œuvres sans s’aider de fiches – pas si fréquent dans le métier. Il dit : « Les livres je les lis, les films je les vois. J’ai envie de bien recevoir les artistes. Savoir le maximum de choses, connaître au mieux leur travail ».
Il ajoute : « Parfois, quand même, je me dis que la situation décline à grand pas à ce niveau-là. Qu’un écrivain soit satisfait qu’on ait lu son roman avant de l’interviewer, c’est une chose, mais qu’un cinéaste se réjouisse qu’on ait vu son film, c’est grave, tant ça paraît le minimum ! Voir un film ! ».
En 2009, Arnaud Laporte entame sa quatrième saison de Tout arrive. Ce sera la dernière : « Entre Tout arrive et La Dispute, ça ne s’est pas passé dans la douceur. Bruno Patino était directeur, et on n’avait pas la même conception d’une émission culturelle. Il voulait confier la culture à des non-spécialistes, pour que leurs questions soient accessibles à tout le monde… » Débarqué de la tranche, il est mis sur la touche pendant un an, avec seulement une petite hebdo le samedi après-midi. Mais lorsque Olivier Poivre d’Arvor est nommé, il lui rouvre l’antenne et lui propose de réfléchir à une quotidienne taillée sur mesure. Arnaud Laporte : « J’ai eu l’idée de La Dispute en deux minutes et demie : le titre, le conducteur, les critiques, la revue culturelle, le coup de fil en province. »
Une sorte de Masque et la Plume, mais version France Culture. Un succès. En cinq ans, les audiences ont doublé. Il dit : « J’essaye de faire entendre de vraies paroles libres, indépendantes, des points de vue vraiment personnels. D’éviter le problème du copinage. Du suivisme aussi : quand un média encense un artiste ou une œuvre, souvent les autres font pareil sans se poser plus de questions que ça ». Pour exemple, il cite sa « bête noire » – Christine and the Queens – dont le talent, selon lui, est loin d’être à la hauteur de sa médiatisation.
La prison
Il dit : « Pour moi, l’art, ça commence par l’émotion. Après, j’adore fouiller, creuser, mais il me faut d’abord un choc esthétique, émotionnel, une sensation physique ». En 2014, il a été nommé chevalier des Arts et des Lettres. Une fierté ? « Et bah ouais. Parce que c’est une distinction essentiellement faite pour les artistes. Très peu de gens de médias l’ont. C’est ça qui m’a plu ».
Le fils d’écrivain, devenu critique, aurait-il voulu… être un artiste ? On pose la question à Laure Adler, elle sourit. Et répond : « Faire de la radio, c’est un art ». Un art qu’il pratique donc depuis bientôt trente ans. Lundi, il entamera sa sixième saison de La Dispute. Pas lassé ? Il dit : « Non, parce que ça change tous les jours, c’est le luxe de ce métier ». Mais quand même : « Je ne fais que ça, lire, écouter, voir des œuvres – sept jours sur sept, l’été aussi. C’est extraordinaire d’être payé pour ça… Mais c’est aussi une prison. Ça ne s’arrête jamais, ça prend beaucoup de temps, ça empiète sur la vie privée ».
Une prison. S’en échapper alors ? S’évader, un jour ? « Dans l’absolu, oui. Si je pouvais m’arrêter un an… Trouver une maison au bord d’une plage où il fait chaud. Prendre du temps. Voyager ». La vraie vie est ailleurs… Mais jamais loin de l’art. On l’a dit, c’est un insatiable. Comment occuperait-il son temps ? Arnaud Laporte : « Je lirais les classiques, ceux que je n’ai pas eu le temps de lire – parce que ça fait trente ans que je suis obligé de ne lire que les nouveautés ». Comme un retour aux sources, sous le soleil de Montpellier, quand c’était l’enfance – qu’il était un petit garçon, en admiration devant son père, le grand écrivain.
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