Pas besoin de tortiller autour du sujet de peur d’indisposer une individualité chèrement acquise : le très séduisant et gouailleur Baxter Dury est le fils de Ian Dury. Ian Dury, pour mémoire : acteur occasionnel, punk poliomyélitique, chantre cockney et célébrité anglaise des années 70, leader des Blockheads et exubérante figure de proue du label […]
Pas besoin de tortiller autour du sujet de peur d’indisposer une individualité chèrement acquise : le très séduisant et gouailleur Baxter Dury est le fils de Ian Dury. Ian Dury, pour mémoire : acteur occasionnel, punk poliomyélitique, chantre cockney et célébrité anglaise des années 70, leader des Blockheads et exubérante figure de proue du label Stiff, auteur, quand même, de l’hymne Sex & Drugs & Rock & Roll. On ne se défait pas d’une telle filiation. Elle coule dans les veines et squatte l’ADN. Baxter Dury n’a pas eu à tuer Ian. Le crabe s’en est chargé à sa place. Pour passer du statut de songwriter domestique et secret à celui de professionnel de la profession, se faire un prénom et construire la confiance, il a en revanche dû encaisser un parcours initiatique presque aussi traumatique que le parricide : chanter pour la première fois en public lors des funérailles de son père, en 2000.
Qu’il le veuille ou non, et bien que son héritage ait été filtré et déformé par un talent strictement personnel, Baxter Dury est donc un héritier. L’héritier d’une éducation londonienne pas tout à fait courante, dans le joyeux désordre bohémien instauré par son furieux de papa. L’héritier de milliers de disques écoutés, de la musique noire surtout, d’instruments croisés et de pratiques musicales décortiquées, de personnages interlopes de passage rencontrés dans la cuisine. Paru en 2002, son premier album Len Parrot’s Memorial Lift fut ainsi un grand disque de pop bancale en nuances vaporeuses, de mélodies hautement sensibles aux digressions doucement psychédéliques. Une formidable machine à rêver, mais un échec commercial complet. Même pour un homme sans grandes prétentions. Trop mou, peut-être : l’apathie musicale semble congénitale à Baxter, pourtant fondu de pop-songs vitaminées, de refrains collants et d’instantanés radiophoniques.
Qu’il se rassure pourtant : Floorshow tient la dragée haute à son merveilleux prédécesseur. Du très Pulp Francesca s Party ou du single Lisa Said transpirent clairement la volonté de hausser le ton, d’uppercuter plus directement, de dénuder et structurer des morceaux aux nombreux crochets pop ; de faire ce qu’il faut pour prendre d’assaut les ondes internationales. Mais invariablement, et très heureusement, les petits tubes de Dury sont corrompus, arythmiques, improbables, sapés par son chant laidback et décalé, constamment baignés dans un fog épais et psychotrope. Tenter de briquer les couplets et refrains jusqu’au brillant du papier magazine ne lui sert à rien : le glam qui ressort a le lustre voilé des lendemains de cuite, quand le rimmel a coulé avec les larmes, que les estomacs sont acides et les cœurs serrés. D’autres morceaux, les magnifiques Floorshow ou Waiting for Surprises, semblent se mouvoir en apesanteur, dans un ralenti gluant. Le psychédélisme discret de l’extraordinaire Cocaine Man ou de Sister Sister développe ses boucles sous Xanax et Prozac. On flotte, on se sent merveilleusement bien, mais on sait que le spleen est prêt à reprendre le dessus. Et rien de plus passionnant qu’un bonheur taché de sombre.