Créant une continuité sensible entre les différents temps de répétitions d’un projet de film abandonné, Damien Manivel orchestre une cérémonie d’adieux à l’adolescence mélancolique et vibrante.
“C’était la dernière soirée de l’été. On avait décidé de continuer la soirée sur l’Île, au pied du grand rocher.” Quelque part en Bretagne, Rosa et sa bande se retrouvent sur un bout de plage qui accueille depuis des années l’écume de leurs amitiés. Elles et ils viennent pour la plupart de passer leur bac, elle part à Montréal le lendemain pour ses études. La fête est aussi une cérémonie d’adieu, et l’ivresse a comme un goût de cendres.
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De la trame minimaliste d’une scène pivot du coming of age, qui saisit les derniers feux de l’adolescence à l’orée de l’âge adulte, Damien Manivel tire une matière profuse où l’hésitation se noue à la grâce. Celles caractéristiques d’une jeunesse pas totalement dégrossie, et celles d’un projet à la forme composite, en apparence inachevé – le tournage du film ayant été annulé faute de financement.
Du réel à sa sublimation
S’extrayant de l’unité de lieu et de temps qu’induisait le récit, le montage fait dialoguer plusieurs étapes de création, créant une continuité sensible entre le travail de la troupe en studio et la répétition des scènes dans le décor réel. Une phrase s’invente près d’un radiateur et se précise au grand air, un geste se noue sur le plancher pour s’épanouir dans le sable. Des rires, erreurs et regards caméra percent la surface, un assistant note les accessoires des personnages et la voix de Manivel, douce et précise, canalise les énergies comme on orienterait le cours d’une rivière.
Fidèle à sa formation de danseur, le réalisateur du Parc et des Enfants d’Isadora cristallise l’adolescence par un travail chorégraphique. L’écriture de plateau accouche d’une typologie de gestes et de postures qui seront stylisés au fil des répétitions : se passer une cigarette, se chamailler dans les vagues, s’enlacer après une dispute. De l’observation à la restitution et du réel à sa sublimation, c’est tout une gamme d’affects et d’émotions qui s’exprime devant la caméra tremblante.
Hors-champ
Au fil des répétitions, la petite troupe devient un corps collectif vibrant et les individualités gagnent en profondeur. Si leur amour est palpable, il est rongé par une inquiétude latente, soulignée par des nappes de clavier mélancoliques. Des gestes débordent, des paroles les dépassent et traduisent maladroitement la peur de plonger dans l’inconnu, le refus inconscient de grandir.
Si l’aube pointe à l’horizon, le jour d’après et le film annoncé resteront en hors-champ. À jamais ancré dans cette dernière soirée d’été, cette forme inachevée, en mouvement perpétuel et ouverte à tous les vents, était finalement la plus à même de saisir les derniers remous de l’adolescence.
L’Île, de Damien Manivel avec Rosa Berder, Damoh Ikheteah, Olga Milshtein, Ninon Botz, Youn Berder, Jules Danger, Celeste Duménil (France, 1h13, 2024)
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