Un premier long métrage brésilien imparfait mais au charme envoûtant, promesse d’un duo de jeunes cinéastes à suivre.
Une semaine après le lumineux et mélancolique Il pleut dans la maison, un autre premier film s’empare de l’été comme motif privilégié des rituels adolescents et révélateur des inégalités sociales. Nous sommes en 1996, au nord du Brésil.
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Tamara, jeune fille blanche, vit ses derniers instants d’âge tendre avant de s’envoler pour Brasília. Sans Cœur, elle, jeune fille noire, vendeuse de poisson, dont la cicatrice gravée au milieu du torse lui a valu son surnom, n’a d’autre horizon que celui des sublimes plages d’Alagoas. Cette nature polymorphe offre à la cheffe opératrice, Evgenia Alexandrova, une matière inépuisable, riche en visions hallucinées (ce plan tableau où le noir profond des écorces d’arbres est rompu par la couleur des vêtements des ados comme suspendus dans les airs).
C’est sur cette dissonance entre l’impressionnante beauté cinégénique d’un paysage et la dure réalité économique et sociale d’un pays, entre deux existences opposées que seule l’enfance permet encore de rapprocher, entre la projection vers le futur et la fixité du déterminisme, que Sans Cœur organise les enjeux de son récit à double fond, intime et collectif. Lucrecia Martel, Alice Rohrwacher mais aussi Elena López Riera et son beau premier long métrage El Agua ne sont jamais bien loin de la terre sauvage, usée, au bord de l’abandon de Sans Cœur et de ses accents fantastiques.
Comme un pays imaginaire
Le film, réalisé en binôme par Nara Normande et Tião, déjà auteur·rices d’un court proche du même nom, prend en charge avec beaucoup d’attention chaque protagoniste de sa bande d’enfants perdu·es et chahuteur·ses, comme rescapé·es d’un Peter Pan où le pays imaginaire se serait transformé en une luxueuse villa squattée le temps d’une après-midi.
Savoir regarder la singularité de chacun·e tout en observant le mouvement du groupe, telle est la plus éclatante réussite du film et ce qui fait aussi sa fragilité quand il tente de se resserrer sur une histoire d’amour naissante. Une scène en particulier de fête en extérieur, à l’exécution virtuose, qui se solde par une agression homophobe, résume à merveille cet idéal choral et la menace imminente de son éclatement.
C’est ainsi que Sans Cœur finit progressivement par s’entendre comme le chant de ralliement de celles et ceux dont le genre, la sexualité, la couleur de peau, le rang social font stigmates, marques à vif accrochées à la chair.
Sans Cœur, de Nara Normande et Tiaõ, avec Maya de Vicq, Eduarda Samara (Br., 1h31). En salle le 10 avril.
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