Un événement éditorial majeur pour tous·tes les cinéphiles et les fans de Jean Eustache : la première édition de l’intégrale de ses films.
La voici enfin, l’édition DVD (et Blu-ray) de l’œuvre de Jean Eustache qu’on attendait depuis longtemps – deux décennies ? – dont on apprenait parfois qu’un éditeur s’en était emparé et allait mener la chose à bien, et puis patatras, tout semblait s’écrouler soudain. Pour des raisons de droits, pour des problèmes avec le ou les héritier·ères, on ne savait pas toujours très bien. Un vrai serpent de mer.
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Et puis, première bonne nouvelle (après la rétrospective à la Cinémathèque française de 2017), les films de Jean Eustache (1938-1981) étaient ressortis en salles l’été dernier grâce aux Films du Losange, permettant à toute une génération de cinéphiles de la découvrir autrement que grâce à des copies pirates de mauvaise qualité, ou des éditions très partielles (comme Une sale histoire chez Potemkine).
Redécouverte d’un inclassable
On l’a tellement attendue, cette édition (due aux excellentes éditions Carlotta), qu’on aurait presque envie de l’insulter, vous savez, comme le brave Aimable joué par Raimu, à la fin de La Femme du boulanger de Marcel Pagnol, qui, lorsque sa femme, Aurélie, revient au village après avoir eu une aventure avec un beau berger, préfère insulter la Pomponette, la chatte de la maison, qui avait abandonné le “pauvre” Pompon et qui vient elle aussi de revenir, plutôt que cette Aurélie, qui comprend très bien à qui il s’adresse, bien sûr.
Cette édition a à la fois tout du retour (d’une œuvre devenue quasi invisible) et de la naissance (d’une génération de gens qui vont découvrir, revoir et revoir, consulter à volonté cette œuvre avec des yeux de maintenant).
Car nous, naïvement, qui avons découvert tout Eustache à la fin des années 1980, croyions tout en savoir. Qu’il est inspiré par Renoir, Murnau, Lubitsch, Bresson, Fritz Lang. Que c’est une œuvre hétérogène, pleine de contradictions, de paradoxes, à la fois claire et opaque, partagée entre fictions et documentaires, courts, moyens et longs métrages. Que La Maman et la Putain, comme certains le pensent encore, le film qui cache un peu la forêt des autres films, n’a jamais été un film de gauche, mais celui d’un prolétaire qui n’aimait pas Mai 68 et la période qui a suivi, qui n’aimait pas son époque.
Que c’est une œuvre très autobiographique, jusqu’au malaise parfois (Eustache s’amusait à faire jouer certaines de ses maîtresses par d’autres), qu’elle est à la fois figurative et conceptuelle, réaliste et abstraite, qu’elle hésite, comme l’écrivait en 2006 Philippe Azoury (auteur d’un très beau livre sorti cet été, Jean Eustache, un amour si grand, aux éditions Capricci) dans Les Inrocks, “entre la précision à vif et l’absolue puissance du faux”. Nous n’allons pas ici reprendre chaque film pour en redire tout ce qu’on trouve sur Wikipédia.
C’est le/la visionneur·se, le/la spectateur·ice qui verra, qui jugera, qui s’étonnera devant les deux versions de La Rosière de Pessac, devant les deux parties étrangement disposées d’Une sale histoire (celle, uniquement racontée, d’un voyeuriste dans un café), ou bien l’infinie tristesse du Père Noël a les yeux bleus ou de Mes petites amoureuses, toujours l’histoire de gens de peu et très losers. Qui constateront que les derniers films, courts, d’Eustache, montraient la perte du sens (comme Les Photos d’Alix, où la description des photos s’éloigne peu à peu de ce que nous voyons, nous, réalisé quelques mois avant le suicide d’Eustache). Etc., etc. Le tout accompagné de nombreux riches compléments de plus de 6 heures, qui montrent Eustache au travail, à Cannes, des rushes inemployés, des interviews parfois très longues, etc.
C’est dire si cet événement en est un et une extrême bonne nouvelle. Le cinéma d’Eustache comme Lazare sort de son tombeau, comme neuf (restauré), et c’est à la fois une joie et une souffrance (de l’avoir attendu si longtemps). Mais surtout une joie.
Disponible en coffret 6 Blu-ray ou 7 DVD, inclus un livre de 160 pages, restaurés en 4K et 2K. 80 euros chez Carlotta. Sortie le 16 avril 2024.
À lire : Jean Eustache, un amour si grand, par Philippe Azoury, éditions Capricci, 352 pages, 23 euros.
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