“The Antisocial Network” suit le parcours de 4chan, un vestige bien vivant d’Internet, aux multiples visages plutôt inquiétants. À retrouver sur Netflix.
C’est à l’origine un forum anglophone, lancé en 2003 par l’internaute américain Moot (de son vrai nom Christopher Poole) sur le modèle du site de partage d’images japonais 2channel. D’abord dédié à la diffusion et au partage d’images en lien avec la pop culture japonaise, les jeux vidéo et des anime plus ou moins underground (une place de choix est réservée aux hentai, les mangas à caractère pornographique), 4chan devient, au mitan des années 2000, un temple de la culture web et de l’anonymat en ligne, une formidable usine à mèmes, et le repère d’une communauté informelle et souvent peu recommandable (majoritairement constitué de jeunes hommes), où se côtoient pêle-mêle otakus désocialisés, trolls narquois, hacktivistes variablement politisés, incels rompus au harcèlement en ligne et complotistes illuminé·es.
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Qui sont les 4channer·euses ?
En vingt ans d’existence, 4chan aura charrié le pire et le moins mauvais, défrayé maintes fois la chronique, infléchi de grandes tendances sociétales, et posé les bases d’une réflexion de fond sur les périls (et les rares bienfaits) de l’anonymat en ligne.
Documentaire Netflix s’attachant à radiographier le plus objectivement possible 4chan, The Antisocial Network remonte la généalogie du site pour pister les grands jalons de son existence, conjointement très courte (en temps humain) et prodigieusement longue (en temps internet). À travers les témoignages d’internautes, de 4channer·euses (repenti·es ou pratiquant·es) et de journalistes ayant chroniqué ses mutations, on suit notamment la création d’Anonymous, collectif de cyberactivistes dont les coups d’éclat médiatisés (les cyberattaques visant l’église de scientologie, Occupy Wall Street…) ne sont que la partie immergée d’un iceberg autrement plus complexe. Né d’un schiste de la communauté 4chan, Anonymous était originellement un groupe informel d’internautes, tendance trolls, sans structure véritable, prônant le sacro-saint anonymat en ligne, et se ralliant derrière des signes distinctifs aux allures de blagues cryptiques.
Le sociotype du 4channer que dresse The Antisocial Network est d’ailleurs l’un des grands intérêts du docu : jeune homme marginalisé et geek prototypique qu’une désocialisation aiguë a rendu perméable à un humour subversif ultra-référencé (avec sa galaxie de mèmes et de codes incompréhensibles pour les profanes) glissant dangereusement, sous couvert d’une liberté d’expression élevée en précepte, vers la misogynie crasse, le complotisme aveuglé et le racisme décomplexé (tétanisantes images d’archives de conventions 4chan montrant des utilisateurs mimer des viols ou des saluts nazis, comme autant de signes de ralliement d’une “culture du lol” devenue monstrueuse).
Quand la farce tourne mal
Pas étonnant que Donald Trump, en vue de l’élection présidentielle de 2016, ait massivement et insidieusement investi 4chan, trouvant dans ses utilisateur·ices des portes-voix idoines. Si bien qu’une partie de la fameuse Trump’s Troll Army, née sur 4chan, se persuade que l’élection de l’homme d’affaires est de leur fait, là où ils n’en ont été que des outils, sciemment utilisés le clan trumpiste.
De repère à geeks rigolard·es, devenu un pilier de la sous-culture web, à tremplin pour théories conspirationnistes délétères (comme la création QAnon, simple canular devenu une mouvance complotiste, et ayant joué un rôle majeur dans l’assaut du Capitole en janvier 2021), en passant par bastion pour hacktivistes prônant l’anonymat et défiant les institutions, 4chan a incarné comme aucun autre site ou réseau social, 2 décennies de Far West virtuel, créant ses propres règles et langages, souvent cryptiques, à la périphérie du monde IRL (in real life). Malgré son format ramassé et quelques raccourcis, The Antisocial Network en dresse un portrait tour à tour fascinant et monstrueux.
The Antisocial Network : Mèmes à retardement, disponible sur Netflix
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