Trop d’images, trop de vêtements, un rythme trop soutenu et un flot incessant de tendances éphémères sur TikTok : dans ce contexte, la créativité reste-t-elle possible ?
Influenceur·ses beauté, séances de fitness et vidéos d’animaux mignons : une avalanche hétéroclite de contenus, reflet de nos fils Instagram, s’est affichée sur les couloirs composés d’écrans qui entouraient les invité·es du défilé Balenciaga lors de la semaine de la mode parisienne. Une scénographie proposée par Demna, directeur artistique de la maison depuis 2015, qui s’apparente à une critique debordienne de la société du spectacle contemporaine.
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Quel sens a la mode dans un univers saturé de contenus ? Selon lui, la créativité est le nouveau luxe. Pour preuve, les silhouettes du défilé qui déroutent et regorgent d’inventivité : des épaulettes sont détournées pour former les hanches d’une robe du soir en hommage à Cristóbal Balenciaga, un sac à dos devient une robe, l’étiquette du vêtement est ostensiblement affichée comme un accessoire, un serre-tête couvre le regard façon Google Glass, des gants de motocross sont transformés en sac à main.
La sobriété, marque du luxe
Si, chez Demna, la créativité post-société du spectacle rime avec humour, critique et détournement osé, chez d’autres designers, elle prend une allure radicalement différente. Les sœurs Olsen l’interprètent sous la forme d’un vestiaire hyper-luxe et ultra-minimaliste chez The Row, où les invité·es du défilé avaient interdiction de poster sur les réseaux sociaux. Chez Rick Owens, les jambières se gonflent d’air, les bustes se dotent de pointes ou se boursouflent, dessinant une silhouette d’alien dans des coloris neutres percés de rose. Comme pour sa dernière collection masculine, le designer californien renonce au décor spectaculaire et dévoile ses pièces en petit comité dans son appartement du VIIe arrondissement – une manière de répondre à “l’hostilité et l’intolérance qui ont atteint une intensité peu commune dans le monde”, dit-il.
Cette saison, moins de stars, moins de strass, et des vêtements qui chahutent les règles de circulation de l’image sur Instagram. Chez Yves Saint Laurent, le directeur artistique Anthony Vaccarello dévoile une collection presque irréelle composée essentiellement de collants. Extrêmement fragiles et éphémères, ils dévoilent les corps des mannequins à une époque où la nudité est bannie des réseaux sociaux, car automatiquement assimilée à de la pornographie. Un défilé difficile à diffuser en ligne et qui questionne la construction d’un désir post-patriarcal.
De son côté, Jonathan Anderson conçoit chez Loewe une collection qui joue avec les signifiants de classe, pour mieux en souligner l’insignifiance contemporaine. Le véritable luxe pour se démarquer ? Les textures, comme en témoigne un col de veste argenté, en réalité composé de bois sculpté. Une prouesse artisanale indétectable au premier regard. Les coupes et les volumes des vêtements sont aussi un support de la créativité, comme chez Issey Miyake, où les robes aux couleurs vives dessinées par Satoshi Kondo créent des silhouettes flottantes surréalistes, tandis que chez Acne Studios, les robes sculptées prennent l’allure d’armures.
En 2024, il est également essentiel de prendre en compte les conditions matérielles qui permettent la créativité. Pas de défilé cette saison pour la marque avant-gardiste Y/Project de Glenn Martens, qui préfère économiser et réinvestir dans la croissance de l’entreprise. Sauter une saison a permis à la maison Ester Manas de présenter une collection body positive, avec des robes iconiques agrémentées d’une nouvelle gamme de vêtements intitulée Cold Line, composée de pièces allant du 34 au 52. Une créativité inclusive comme chez Victor Weinsanto, qui explore l’iconographie burlesque, ou encore Hodakova, finaliste du Prix LVMH, dont la collection met en avant l’artisanat et évoque les déconstructions de Margiela ou les détournements de Demna.
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