Anna Hints nous donne en partage un moment suspendu et intime, dissimulé dans la vapeur et dans les glaces estoniennes.
Smoke sauna sisterhood
Une femme creuse un trou dans la glace. Allume le bois dans un poêle. Nous sommes dans une cahute, une petite maison en bois au milieu d’une forêt enneigée, en Estonie. C’est un sauna à fumée (« sacré », précise le synopsis du dossier de presse), spécialité de ce pays balte.
Quelques femmes nues s’y rassemblent vite, au milieu de la vapeur qui naît quand elles jettent de l’eau sur les pierres brûlantes. Elles parlent entre elles à voix basses, parlent d’elles, se racontent leur vie, à voix nue. Tout en se purifiant avec l’eau, la vapeur, la glace. Parfois, pour faire circuler le sang (ou geste sacré ?), elle se fouettent gentiment avec des branches tendres et des feuilles. Pleurent peut-être, parfois, mais comment distinguer la transpiration des larmes ?
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Du plafond, des morceaux de viandes sont suspendus, comme le temps. Ils sont en train d’être fumés. Pas de gâchis.
Une femme raconte son cancer du sein aujourd’hui guéri, l’autre le jour où elle a annoncé à ses parents qu’elle aimait les femmes et qu’ils ont fait comme si de rien n’était. Son père (elle l’imite) lui aurait répondu, d’une voix bourrue : « Ah bon ? » sans lever le nez de son journal. Alors les femmes rient, parce que, disent-elles, les Estoniens sont comme ça : jamais aucun geste chaleureux, mais pas d’agressivité non plus. On ne sait pas, on les écoute. C’est émouvant, ces visages dans la fumée d’un sauna.
Et puis tout d’un coup, toujours nues, elle courent jusqu’au trou que la première femme avait creusé dans la glace au début du film et dans lequel une échelle, toujours en bois, a été disposée. L’une après l’autre, elle s’y baigne (pas très longtemps non plus…) ou s’y trempent, puis retournent au sauna en courant, en riant et en se lançant des boules de neige, soudain retombées en enfance.
Nous sommes loin du bruit du monde, à une époque éternelle, et des femmes, filmées avec une infinie délicatesse, comme des sculptures roses un peu abstraites, se mettent à nu. Le jeu de mots est-il en estonien ? On parierait que oui. C’est très beau.
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