Pour son huitième festival, le Palais de la Porte Dorée multiplie les initiatives contre les discriminations, en diversifiant les modes d’expression, offrant la parole aux artistes. On a choisi nos trois coups de cœur.
Véritable espace pluridisciplinaire idéalement situé à l’orée du bois de Vincennes, le Palais de la Porte Dorée, qui abrite le musée national de l’Histoire de l’immigration (tout neuf depuis juin dernier !) et l’Aquarium tropical, mélange expositions, salles de spectacles, de concerts et de cinéma, lieux de débats, quand il ne s’expose pas hors les murs. Histoire de mener une politique culturelle et mémorielle à 180 degrés et d’éveiller le public le plus large aux discriminations sous toutes leurs formes.
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Un événement engagé et inclusif
Organisé dans le cadre de la semaine d’éducation et d’action contre le racisme et l’antisémitisme, la 8e édition du Grand Festival, qui s’ouvre le 19 mars, gratuite et ouverte au plus grand nombre, sera principalement centrée autour du monde du sport, ébullition médiatique autour des Jeux olympiques oblige, et des discriminations qui leur sont liées. Avec comme mission d’offrir des cartes blanches aux artistes et à leurs manières de s’emparer de ces combats. Il sera ainsi possible d’être incollable sur la grande histoire du football féminin (depuis le premier championnat de France de football avec une dizaine de joueuses en 1919 jusqu’à aujourd’hui) avec la conférencière hors norme Hortense Belhôte, de manière à la fois pédagogique et loufoque.
D’assister au Grand procès du sport, totalement immergé, suspens en prime, dans une salle de tribunal avec la réputée Fédération française de débat ou de se plonger dans En terrain libre. Un documentaire passionnant qui suit de jeunes joueuses de l’équipe de foot du Red Star de Saint-Ouen cherchant leur place dans ce monde réputé masculin. Tahnee, la comique à suivre, avec L’Autre, nous expliquera ses doutes et ses craintes, et le dur chemin de l’acceptation quand on est femme, lesbienne et métisse, avec répartie et légèreté. Les amoureux de la langue française seront ravis de retrouver La Grande Dictée, initiée depuis plusieurs années par Abdellah Boudour, et qui, en déclinant la thématique sportive, annonce un grand moment de communion collective.
On ne manquera pas Le Lait noir, lecture musicale proposée par Fanny Michaëlis qui, à partir de l’histoire de son grand-père, dissèque la question des régimes totalitaristes et oppressifs. Ni de participer à l’atelier, Grands Méchants Mots, pensé par les journalistes Chérine Amar et Lou Inès Bes, qui se proposent de décortiquer les sous-entendus racistes, et discriminatoires, qui se cachent dans certaines expressions anodines de premier abord. Et, comme il est important de clôturer un festival en beauté, le Collectif Kay!, formé par Lamine Diagne, rendra hommage à l’incroyable poète hors normes Claude McKay, pionnier de la négritude et du Harlem Renaissance, dont les écrits et les poèmes sont on ne peut plus incisifs et contemporains.
Interroger les discriminations en riant de soi avec Tahnee
La trentaine, Guadeloupéenne par son père et Chti par sa mère, Tahnee se destinait à une carrière d’ingénieure, mais l’appel du stand-up l’a rattrapée. Avec L’Autre, son premier spectacle, elle évoque avec humour la lesbophobie et le racisme en se basant sur sa propre expérience.
L’Autre, c’est ton premier one woman show ?
Tahnee – Oui. Ça a commencé en 2018 par le tremplin Propulsion organisé par le centre culturel, les Plateaux Sauvages. Je commençais tout juste dans le stand-up, j’avais écrit 15 minutes, j’ai passé l’audition, j’ai été retenue, j’ai remporté le prix et j’avais un an pour écrire le spectacle. Ensuite, je l’ai joué à la Comédie des 3 Bornes à la rentrée 2019, et depuis, il a beaucoup changé, il s’est affiné et actualisé, pour en arriver à ce qu’il est aujourd’hui.
Quelle était l’idée de départ ?
Tahnee – C’était pour moi un besoin d’expression, de parler de qui je suis vraiment et ce spectacle ne parle que de moi. Qui me suis cachée longtemps, qui a eu d’abord peur de mes cheveux, puis de se découvrir lesbienne, puis de s’affirmer pleinement. Il y avait pour moi une forme d’urgence de dire que les personnes queer et noires existent et qu’il faut aller au-delà des clichés. J’avais envie de livrer mon histoire pour ouvrir la parole et la discussion sur ces sujets.
Pourquoi par le biais de l’humour ?
Tahnee – Ça a toujours été mon média, ma manière pour connecter avec les gens. J’étais assez timide, petite ; faire des blagues et faire rire les gens, c’était une manière de me rapprocher d’eux. Je trouve que par l’humour, les messages passent plus en douceur et comme je suis quelqu’un qui a peur du conflit et de la confrontation, le rire comme moyen de communication me convient très bien.
Qui te fait rire ?
Tahnee – Ma sensibilité à l’humour est de famille, j’ai des parents qui font beaucoup de blagues, une grand-mère antillaise qui avait le sens de la punchline, un grand-père qui aimait beaucoup les contrepèteries. À la télé, on ne loupait jamais Jamel Debbouze, Florence Foresti ou Gad Elmaleh et quand je me suis installée à Paris, j’ai vraiment découvert le stand-up et la nouvelle génération comme Yacine Belhousse, Roman Frayssinet, Blanche Gardin… Et des femmes que je considère un peu comme des grandes sœurs, Laura Domenge, Marine Baousson, Shirley Souagnon, Tania Dutel. Il y a beaucoup d’inspiration, je trouve, dans le stand-up français.
Tu te considères comme engagée en tant qu’humoriste ?
Tahnee – En tout cas, par ce spectacle et les retours que j’en ai eus, je me suis rendu compte que c’était un réel engagement de porter cette parole sur scène et de manière aussi libre et joyeuse. On me dit souvent que ça fait du bien d’entendre parler de ces sujets politiques de manière drôle, avec fierté, avec de la lumière. Donc, oui, c’est un engagement que je porte.
Pourquoi avoir accepté d’aller jouer au Palais de la Porte Dorée ?
Tahnee – Symboliquement, je le trouve très pertinent. J’y suis allé pour faire des photos, on m’a organisé une visite rapide, on m’a donné des éléments sur le contexte historique de sa construction et je trouve que ce qui y est raconté résonne avec les débats actuels. C’est un lieu intéressant pour jouer mon spectacle et ouvrir la discussion sur la place donnée aujourd’hui aux personnes racisées, en marge, à celles qu’on a regardées avec un œil particulier dans le passé.
Certains disent qu’on ne peut plus rire de rien, tu en penses quoi ?
Tahnee – C’est faux, on peut rire de tout, tout dépend de quelle manière on le fait. En tout cas, quand les gens disent ça, j’aime interroger le “on”. Qui se permet de rire de qui et de quoi ?
L’Autre de Tahnee, le vendredi 22 mars à 22 h. Puis, au Théâtre de l’Européen le 25 mars, le 16 avril, le 24 mai, le 27 juin et en tournée dans toute la France.
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Devenir incollable sur le football féminin avec les conférences agitées de Hortense Belhôte
À l’image de ces délicieuses vignettes, Merci de ne pas toucher, sur Arte, l’actrice, auteure et historienne de l’art, Hortense Belhôte présente ses conférences d’un genre nouveau. Où, armée d’un Powerpoint et d’un corps prêt à toutes les facéties, elle plonge dans de grands sujets sociétaux et politiques.
Comment fait-on pour résumer cent ans d’une histoire du foot féminin ?
Hortense Belhôte – L’idée est de montrer en quoi l’histoire du foot féminin recoupe les grandes évolutions de l’histoire des féminismes et des grands changements politiques et sociétaux. Le spectacle est organisé comme un match, avec la première mi-temps et la deuxième mi-temps du XXe siècle et les prolongations au début du XXIe. C’est le séquençage dans lequel j’articule plusieurs petites histoires qui permettent d’éclairer à chaque fois une grande évolution.
Pourquoi le présenter dans le cadre du Grand Festival ?
Hortense Belhôte – J’ai des prismes d’analyse des grands phénomènes historiques qui portent souvent sur les questions de genre, le féminisme, le mouvement queer, et aussi le mouvement décolonial. L’idée est d’intégrer le foot à l’intérieur de luttes politiques plus larges et des rapports justement entre l’histoire nationale, l’histoire internationale et l’histoire intime et on se balade en permanence entre ces trois niveaux. C’est une réflexion assez liée au Palais de la Porte Dorée, qui articule l’histoire nationale propre à la France et l’histoire internationale, et ce va-et-vient s’articule par le biais de l’histoire intime d’individus et de la question du récit. Ça touche autant l’histoire de l’art que la sociologie ou l’économie.
Comment expliquer l’essor du foot féminin ?
Hortense Belhôte – J’ai réalisé que, globalement, l’histoire du foot féminin recoupe historiquement ce qu’on appelle la première, la deuxième et la troisième vague féministe. On constate un essor dans les années 1920 qui correspond à toutes les luttes pour le droit de vote etc., ensuite ça disparaît. On a un retour dans les années 1960/1970 avec le féminisme de la deuxième vague, puis un regain depuis 2010, ce qu’on appelle la troisième vague féministe. Quand on regarde l’essor du foot féminin, ces trois vagues se recoupent quasiment date à date. L’envolée du foot féminin est en partie due à ce mouvement d’émancipation récent, mais il y a également d’autres explications. En France, on aurait pu développer le foot féminin plus tôt, le tournant a été 2010 avec l’échec monstrueux de l’équipe de France masculine en Afrique du Sud. Ce qui fait que le président de la FFF (Fédération française de foot, NDR) , Noël Le Graët, a misé sur un autre cheval et a décidé d’investir le foot féminin. Le fait aussi qu’il y ait une coupe du monde féminine en 2019 en France a provoqué un vrai boom dans le nombre de licenciées femmes.
Le foot est féministe ?
Hortense Belhôte – À l’échelle internationale, le foot est un enjeu d’émancipation pour les femmes, que ce soit au Soudan, en Iran, en Afghanistan, au Kenya ou en Afrique du Sud. Partout, au-delà de la question raciale, la question de l’émancipation féminine se joue forcément par la liberté du corps et le fait de disposer de soi-même. Le sport a cette capacité exceptionnelle, et tragique, de valider la hiérarchie sexuelle. Le football féminin français, ces quinze dernières années, a construit sa crédibilité sur une surféminisation des joueuses. C’était une volonté de la FFF et ça l’est toujours.
Une histoire du football féminin de Hortense Belhôte, le mardi 19 mars à 14 h et à 20 h.
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Danser et chanter ensemble à la mémoire de Claude McKay avec le collectif Kay !
Pour le centenaire de Claude McKay – poète noir du mouvement du Harlem Renaissance et référence vibrante de la négritude – dont l’œuvre fascinante, en forme d’uppercut, a été récemment redécouverte, l’artiste Lamine Diagne de la compagnie de l’Énelle, a créé le collectif Kay !. Fort d’une vingtaine de performer·euses, danseur·ses, musicien·nes, peintres, vidéastes, slammeur·ses, la troupe, qui mélange les styles avec panache, s’emploie à célébrer la mémoire de Claude McKay à travers différentes initiatives à la fois ludiques et pédagogiques, immersives et collaboratives, comme pour mieux appréhender la modernité de cet artiste protéiforme trop longtemps oublié.
Né en Jamaïque en 1889, passé par New York en pleine ébullition du mouvement Harlem Renaissance, Londres, Moscou, Paris et Marseille (où il séjournera plusieurs années), multipliant les petits jobs alimentaires, McKay est un vagabond céleste bisexuel habité par l’injustice sociale, l’écriture et la musique, notamment le jazz. Aussi influent que des James Baldwin, Frantz Fanon, Chester Himes ou Julius Eastman, célébré par Banjo et Retour à Harlem, deux romans saisissants de modernité, Claude McKay aura fait de sa vie, et son destin exceptionnel, une ode à la poésie et à la musique, comme une révolte contre le racisme et les discriminations.
À l’occasion de l’année McKay, initiée en 2023 et parrainée par Christine Taubira, Lamine Diagne a décidé de s’emparer du personnage pour mieux donner à comprendre la contemporanéité de sa pensée qu’il résumait dans Libération : “On ne peut cantonner McKay dans le passé. Sa façon de dépeindre le monde, et ses rouages, opère jusqu’à aujourd’hui (…) McKay a traversé toutes les classes sociales. Aujourd’hui encore, nous sommes dans des rapports instrumentalisés par l’histoire et les intérêts de certains, mais il ne faut pas perdre de vue la fraternité qui nous attend si on arrive à briser le moule.” Pour montrer la modernité de l’œuvre de McKay et sa persistance actuelle, Lamine, avec le collectif Kay!, mélange les disciplines et les points de vue, fait participer le public et s’offre des moments d’improvisation. Le centre du Palais sera transformé en gigantesque forum où slam, danse urbaine, chant et performances se mélangeront. Pour mieux faire résonner la voix, si précieuse et perspicace, de Claude McKay au-delà des murs de l’institution.
Kay Performance par le collectif Kay !, le 24 mars de 15 h à 17 h.
Le Grand Festival #8, Contre le racisme et l’antisémitisme, Palais de la Porte Dorée, du mardi 19 au dimanche 24 mars.
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