Fiévreusement attendu depuis 2013, le jeu de science-fiction aux 13 trillions de planètes à explorer s’est enfin posé sur Terre. Et si ses partis pris plus radicaux que prévu divisent la critique comme les joueurs, l’expérience « No Man’s Sky » nous a emballés.
Oubliez GTA, Just Cause et The Witcher 3 : No Man’s Sky donne une nouvelle dimension au mot « immensité ». Son univers à lui est vraiment, littéralement, un univers, dont les planètes se comptent en milliards. Et même en milliards de milliards car celles-ci, toutes différentes et prêtes à accueillir la visite du joueur, sont exactement au nombre de 18 446 744 073 709 551 616. Autant dire qu’on (et par « on », on désigne la totalité de ceux qui sillonnent son cosmos depuis la sortie du jeu) n’est pas près d’en voir le bout. Evidemment, il y a un truc : ces mondes n’ont pas été dessinés un à un par les membres du petit studio anglais Hello Games mais produits par l’ordinateur en fonction des algorithmes complexes qu’ils ont patiemment élaborés pour lui « expliquer » comment fabriquer monts, lacs, grottes, faune et flore. Le principe, connu sous l’appellation de génération procédurale et déjà au cœur du phénomène Minecraft, est le pilier de No Man’s Sky. C’est lui qui a permis à une équipe de taille très modeste – moins de 30 personnes contre plusieurs centaines pour les gros jeux actuels – d’enfanter le jeu le plus vaste de tous les temps. C’est aussi lui qui rend l’expérience si spéciale et contribue à faire que le jeu le plus attendu du moment se révèle aussi, finalement, le plus surprenant.
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Depuis sa sortie, No Man’s Sky divise énormément. La faute, sans doute, à son statut incertain depuis que sa toute première bande-annonce a enflammé le web fin 2013 et que Sony a pris le projet sous son aile – sans, nous assure-t-on, influer esthétiquement ni s’impliquer financièrement dans son développement. Car, lancé comme un blockbuster, No Man’s Sky reste, philosophiquement, un jeu indé, radical et potentiellement déstabilisant. Un jeu, aussi, qui s’inscrit dans une tradition purement européenne de la science-fiction vidéoludique, héritier du britannique Elite (qui, dans son enfance, fut le jeu de chevet de Sean Murray, le maître d’œuvre de No Man’s Sky) ou du français L’Arche du Captain Blood. Aussi loin de l’efficacité spectaculaire de l’américano-canadien Mass Effect que du foisonnement narratif des RPG japonais Star Ocean ou Rogue Galaxy, No Man’s Sky ose le vide, les temps morts, le fastidieux, voire carrément le décevant.
Lorsque, après avoir, parfois assez laborieusement, déniché toutes les matériaux (fer, zinc, plutonium…) nécessaires pour réparer, alimenter et / ou perfectionner notre vaisseau, on prend la direction d’une planète, d’une lune ou d’un nouveau système solaire, on ne sait jamais vraiment ce qu’on va y trouver. Les lieux seront-ils accueillants ou hostiles, les matières premières (que l’on collecte sans relâche) rares ou abondantes, les animaux agressifs (certains quasi-dinosaures ne font pas de quartier) ou doux et les paysage mornes ou somptueux ? A chacun de le découvrir, d’autant que, statistiquement, vu le nombre de planètes présentes dans No Man’s Sky, il est très improbable que qui que ce soit d’autre ait l’occasion de mettre les pieds là où l’on vient d’arriver. Alors on enregistre notre découverte sur les serveurs du jeu, en renommant par la même occasion, si le cœur nous en dit, nos trouvailles pour nous les approprier en colon symbolique – si les mystères de la navigation interstellaire vous conduisent un jour sur la planète Chouquette, sachez qu’on y a plutôt passé du bon temps.
À rebours d’une vision du game design focalisée sur la direction du joueur ou la mise à disposition d’une multitude d’activités et, plus généralement, de la culture du plein, de la dictature du fun, No Man’s Sky exalte le hasard et le libre-arbitre et fait croître l’espoir du merveilleux sur la possibilité du (presque) rien. D’où, probablement, sa réception mitigée. Ses mondes ne sont pas des parcs d’attraction édifiés pour le joueur mais des écosystèmes qui se passent aisément de lui. Des lieux presque indifférents à sa présence et qui ne lui demandent rien, ne l’attendent pas. Le but même du jeu – se rendre au centre de l’univers – demeure d’ailleurs assez flou, presque secondaire, et si l’on se livre au commerce ainsi que, parfois, au combat spatial, c’est d’abord en promeneur esthète – l’esprit indé de Journey et de Proteus voisine ici avec celui, plus offensif, de Metroid Prime – doublé d’un botaniste / mineur amateur que l’on parcourt ces environnements créés en partie sans l’homme et pourtant, plastiquement, dotés d’une ahurissante personnalité.
L’attente, l’ennui, la répétition, parfois la sécheresse, la tristesse même font partie de l’expérience et c’est aussi parce que, parfois, on ne trouve rien de beau ou de bien là où l’on débarque que, quand c’est le cas, l’émerveillement est aussi puissant. Plutôt que de tout lui servir sur un plateau, No Man’s Sky travaille à rendre le joueur mentalement disponible et à nourrir son désir de voir, d’entendre, d’être ébloui et d’apprendre – par exemple la langue de ces peuples extra-terrestres qu’il croise à intervalles plus ou moins réguliers au cours de son épopée désordonné. L’essentiel se passe en lui, en nous qui, une fois n’est pas coutume, ne sommes pas le héros que le cosmos attend mais juste un explorateur ordinaire parmi beaucoup d’autres. Un voyageur solitaire lancé dans un périple unique avec les yeux grand ouverts. C’est encore plus fort.
No Man’s Sky (Hello Games) sur PS4 et PC, environ 60 €
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