Dans son troisième film, Sana Na N’Hada raconte la guerre d’indépendance de la Guinée-Bissau. Un long métrage puissant et onirique.
Ce fut l’une des plus belles découvertes du dernier Festival de Cannes, révélé en clôture de l’ACID, aventureuse section qui eut le nez de sélectionner cette absolue splendeur snobée par les autres. Dès les premiers plans de Nome, il apparaît évident qu’on est face à un cinéaste majeur : le ciel turquoise découpé par un arbre, des rapaces qui guettent, un enfant qui assiste aux funérailles de son père, un passage de relais, une frontalité qui captive d’emblée notre regard et ne le lâchera plus.
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Ce n’est que le troisième long-métrage de Sana Na N’Hada – cinéaste guinéen de 73 ans, dont la carrière accidentée a tout de même eu l’honneur d’une sélection cannoise en 1994 pour son premier film, Xime –, et c’est un chef d’œuvre.
Il y raconte la guerre d’indépendance de la Guinée-Bissau, ex-colonie portugaise libérée en 1974 après treize années de conflit interrompues par la Révolution des Œillets, qui fit chuter le gouvernement fasciste portugais. Et il le fait par le biais de la fiction mêlée à des images d’archives, qu’il a lui-même filmées et qui, malgré les assauts du temps et une destruction partielle (par manque de soin des institutions qui en avaient la charge), sidèrent à chaque apparition. Leur histoire, il faut dire, est singulière, en ce qu’elles résultent d’un projet révolutionnaire en action.
Histoire, révolution, poésie
En effet, Sana Na N’Hada a été embarqué à 16 ans dans la guérilla marxiste d’Amílcar Cabral, mais, peu apte au combat, a rapidement été envoyé à Cuba pour s’y former comme cinéaste, avec quatre autres jeunes Guinéens. Revenu sur place en 1972, il a inlassablement filmé la lutte de ses camarades, puis les premières années de l’indépendance, jusqu’en 1977.
Il n’en demeure aujourd’hui qu’une quarantaine d’heures (sur la centaine tournées), sur lesquelles le réalisateur s’est appuyé pour raconter ce pan d’histoire de son pays. Bien qu’appuyé ne soit pas le meilleur terme : le cinéaste les a retravaillées, malaxées, parfois scratchées (à la Stanley Brakhage) pour en extraire la sève poétique.
Nome suit ainsi son personnage éponyme (joué par Marcelino António Ingira) de la fin des années 1960 jusqu’au mitan des années 1970, de sa jeunesse indolente dans un village de Guinée-Bissau à son retour difficile à la vie civile après une demi-décennie de lutte armée – cette dernière n’étant pas un choix, mais un engagement forcé pour fuir le déshonneur d’avoir mis enceinte sa cousine. Il fait ainsi la chronique, lucide mais sans amertume, d’une révolution ratée, se demandant, en regardant dans le rétroviseur, où est-ce que ça a merdé…
En contrepoint onirique, une autre ligne narrative s’intéresse à un enfant hanté par un fantôme, qui tente de fabriquer un instrument de musique traditionnel (le bombolon), et que les guérilleros utilisaient pour communiquer secrètement. Les temporalités se mélangent, le monde des mort·es s’invite dans celui des vivant·es, et Nome est bien davantage qu’une fresque historique : c’est une fable universelle, une épopée magique, de celles qui font tenir ensemble toutes les faces de l’expérience humaine.
Nome, de Sana Na N’Hada, avec Marcelino António Ingira, Binete Undonque, Marta Dabo. En salle le 13 mars.
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